Biberonné à la Résistance...
Lorsque je suis né en 1972, mon père, fils de paysans Nivernais devenu agrégé d'histoire, commençait juste sa thèse de doctorat, qu'il présenta en 1978 face à un jury présidé par René Rémond. Le sujet : l'histoire de l'occupation allemande et de la résistance dans le département de la Nièvre de 1940 à 1944, l'une des toutes premières thèses sur la Résistance. Epuisée depuis plus de dix ans, elle vient d'être rééditée aux Editions Universitaires de Dijon. Mes premières années furent marquées par le silence exigé dans la maison, pour la concentration du travailleur comme pour ses moments de repos. J'ai littéralement baigné dans la Résistance, j'en ai respiré, bu et mangé.
Il commençait sa préface en s'interrogeant : pourquoi reparler de la résistance plus de 30 ans après les faits ? Et je reprendrai l'interrogation à mon compte : pourquoi en reparler 70 ans après ? Est-on occupé, sommes-nous prisonniers ? Grâce aux résistants et aux alliés, ne vivons-nous pas dans une parfaite Démocratie, une République exemplaire où les beaux mots de Liberté, d'Egalité et de Fraternité règnent sans partage ?
Lorsque je suis né en 1972, mon père, fils de paysans Nivernais devenu agrégé d'histoire, commençait juste sa thèse de doctorat, qu'il présenta en 1978 face à un jury présidé par René Rémond. Le sujet : l'histoire de l'occupation allemande et de la résistance dans le département de la Nièvre de 1940 à 1944, l'une des toutes premières thèses sur la Résistance. Epuisée depuis plus de dix ans, elle vient d'être rééditée aux Editions Universitaires de Dijon. Mes premières années furent marquées par le silence exigé dans la maison, pour la concentration du travailleur comme pour ses moments de repos. J'ai littéralement baigné dans la Résistance, j'en ai respiré, bu et mangé.
Il commençait sa préface en s'interrogeant : pourquoi reparler de la résistance plus de 30 ans après les faits ? Et je reprendrai l'interrogation à mon compte : pourquoi en reparler 70 ans après ? Est-on occupé, sommes-nous prisonniers ? Grâce aux résistants et aux alliés, ne vivons-nous pas dans une parfaite Démocratie, une République exemplaire où les beaux mots de Liberté, d'Egalité et de Fraternité règnent sans partage ?
Papa nous emmenait à la rencontre des anciens qu'il allait visiter et interviewer. J'étais le plus motivé pour le suivre, ce qui me donnait l'occasion de passer du temps seul à seul avec lui en voiture. Je me souviens surtout d'une fois, nous nous rendions au Musée de la Résistance à Saint-Brisson où il devait faire une conférence, je lui relisais son texte pendant qu'il conduisait la CX, copilote, relecteur, confident. Moment rare.
Certains devinrent des amis, et nous y allions en famille. Je me souviens bien de Manette Champenier, mère de Roland, Chef des Francs-Tireurs et Partisans Français du Cher et de la Nièvre, mort à 20 ans d'un éclat d'obus dans les Vosges en novembre 44 (1924-1944), elle habitait toujours la maison éclusière du port de Marseilles-les-Aubigny, de Monsieur et Madame Piaut à Coulanges-les-Nevers (lui, maître-saboteur, avait été déporté) , de Madame Baynac et de sa fille, veuve et fille de Camille, fusillé au Mont Valérien en 1942, de Monsieur Oboeuf et son oeil borgne, de sa femme Génia, aujourd'hui l'une des dernières survivantes des camps, de Marcel Henry dont le père avait longtemps habité notre maison d'alors, de Pierrot Barbier, de Léon Wasik, le lieutenant de Roland, et sa femme Mado, de Marcel Lemaître qui m'offrit un chargeur de Sten, et de quelques autres.
Je vous reparlerai plus loin de Roland, de Génia, de Léon qui chercha son père en Allemagne jusqu'en 1946, son père qui avait été arrêté et déporté à cause de la résistance de son fils... et enfin de Marcel, mon ami Marcel Henry que je chéris d'autant plus qu'à 94 ans il est aujourd'hui le dernier acteur vivant de cette Histoire.
Monsieur Oboeuf (prénom : Aimé) m'avait fort impressionné, d'abord par le bandeau noir sur l'oeil borgne qui lui donnait une gueule de tueur, et surtout parce que Papa nous avait raconté qu'il avait été chargé par le Parti Communiste de supprimer des collaborateurs après la libération. Tueur, vous dis-je. Il avait reçu une liste de cibles, mais selon ses propres dires, l'ordre avait été annulé avant qu'il ne s'occupe du premier nom... Après guerre, il devint garde du corps de André Marty puis Jacques Duclos. André Marty, le français le plus haut placé au sein du Komintern, Inspecteur Général des Brigades Internationales, honni des anarchistes, dépeint par Hemingway dans "Pour qui sonne le glas", exclu du PCF en 1953, surnommé "le Boucher d'Albaceste" par Alphonse Boudard dans son livre "Les combattants du petit bonheur". Drôle de parcours... Aimé rencontre Génia à Auschwitz, il reçoit 25 coups de bâtons pour être allé la retrouver pour leur premier baiser. Promesse faite et tenue, ils se retrouvent à Paris après la guerre et se marient, après qu'il eut divorcé de sé première épouse qui ne l'avait pas attendu. Elle, rescapée de Auschwitz puis de Ravensbrück, après être passée entre les expériences de stérilisation des médecins nazis, survivante parmi les survivants, et miracle, ils auront deux fils. Amoureux, Aimé, amoureuse Génia, mêlant leurs extraordinaires forces vitales pour prolonger la vie...
C'est lui Aimé Oboeuf qui m'a "tatoué", pour ce qui est de la fameuse question éculée "Qu'est-ce que j'aurais fait si j'avais été à ta place ? Est-ce que j'aurais eu le même courage ?" Il me fît une réponse qui me laissa pantois, et que je mis des années à comprendre :"Tu sais, le passé c'est le passé, et pour nous c'était simple finalement. Notre pays était occupé, par une armée étrangère, à l'idéologie criminelle et totalitaire, ces hommes étaient en uniforme et armés. Nous devions donc les combattre par les armes, les renvoyer chez eux et aller y détruire le IIIème Reich. Pour vous la partie sera plus compliquée : vous aurez aussi sûrement à résister, mais contre qui ? Contre quoi ? Vous ne serez peut-être pas occupés, il n'y aura sans doute pas d'armée, pas plus que d'uniformes ni d'armes, ni même d'ennemis déclarés.Pour nous c'était plus simple."
Je compris en 1995, avec la création de l'OMC, le G8, Bush et le Nouvel Ordre Mondial, la fin de l'histoire, et la tribune d'Ignacio Ramonet dans Le Monde Diplomatique en décembre 1997 "Désarmer les marchés", appelant à la création d'ATTAC. La dernière idéologie totalitaire était vaincue, les idiots proclamaient la fin de l'histoire, un nouvel ordre mondial, le capitalisme triomphait. Et j'ai pensé : seul un totalitarisme peut vaincre un autre totalitarisme, donc le capitalisme est bien un totalitarisme, et sa victoire est bien TOTALE, sur toute la surface de la Terre.
J'avais désormais un ennemi TOTAL.
FRED, CAMILLE, JEAN ET LES AUTRES...
Parmi toutes ces rencontres, il y en eut trois plus marquantes encore : Frederic Leist, Paul Bernard, dit "Camille" et Jean Longhi, le commandant Grandjean, Chef Départemental des Maquis.
D'abord, Fred.
Ce merveilleux bonhomme est entré dans notre vie pendant mon enfance, mes souvenirs de lui démarrent vers mes 5 ou 6 ans. Dans sa coccinelle bleu-ciel, il arrivait dans la cour de notre maison d'Urzy impeccablement mis, costume-cravate, ses cheveux blancs toujours coiffés avec la trace du peigne, sentant bon dès l'embrassade, fleurs pour ma mère et gâteaux pour tous. Il n'était pas encore tout à fait en retraite, et terminait sa carrière comme représentant commercial des glaces Miko, d'où les gâteaux. Un jour nous l'attendions mon père mon frère et moi, dans la cour, et mon père nous dit solennellement, et d'une manière tout à fait inhabituelle :
- "A partir d'aujourd'hui je voudrais que vous considériez Fred comme votre grand-père".
Certains devinrent des amis, et nous y allions en famille. Je me souviens bien de Manette Champenier, mère de Roland, Chef des Francs-Tireurs et Partisans Français du Cher et de la Nièvre, mort à 20 ans d'un éclat d'obus dans les Vosges en novembre 44 (1924-1944), elle habitait toujours la maison éclusière du port de Marseilles-les-Aubigny, de Monsieur et Madame Piaut à Coulanges-les-Nevers (lui, maître-saboteur, avait été déporté) , de Madame Baynac et de sa fille, veuve et fille de Camille, fusillé au Mont Valérien en 1942, de Monsieur Oboeuf et son oeil borgne, de sa femme Génia, aujourd'hui l'une des dernières survivantes des camps, de Marcel Henry dont le père avait longtemps habité notre maison d'alors, de Pierrot Barbier, de Léon Wasik, le lieutenant de Roland, et sa femme Mado, de Marcel Lemaître qui m'offrit un chargeur de Sten, et de quelques autres.
Je vous reparlerai plus loin de Roland, de Génia, de Léon qui chercha son père en Allemagne jusqu'en 1946, son père qui avait été arrêté et déporté à cause de la résistance de son fils... et enfin de Marcel, mon ami Marcel Henry que je chéris d'autant plus qu'à 94 ans il est aujourd'hui le dernier acteur vivant de cette Histoire.
Monsieur Oboeuf (prénom : Aimé) m'avait fort impressionné, d'abord par le bandeau noir sur l'oeil borgne qui lui donnait une gueule de tueur, et surtout parce que Papa nous avait raconté qu'il avait été chargé par le Parti Communiste de supprimer des collaborateurs après la libération. Tueur, vous dis-je. Il avait reçu une liste de cibles, mais selon ses propres dires, l'ordre avait été annulé avant qu'il ne s'occupe du premier nom... Après guerre, il devint garde du corps de André Marty puis Jacques Duclos. André Marty, le français le plus haut placé au sein du Komintern, Inspecteur Général des Brigades Internationales, honni des anarchistes, dépeint par Hemingway dans "Pour qui sonne le glas", exclu du PCF en 1953, surnommé "le Boucher d'Albaceste" par Alphonse Boudard dans son livre "Les combattants du petit bonheur". Drôle de parcours... Aimé rencontre Génia à Auschwitz, il reçoit 25 coups de bâtons pour être allé la retrouver pour leur premier baiser. Promesse faite et tenue, ils se retrouvent à Paris après la guerre et se marient, après qu'il eut divorcé de sé première épouse qui ne l'avait pas attendu. Elle, rescapée de Auschwitz puis de Ravensbrück, après être passée entre les expériences de stérilisation des médecins nazis, survivante parmi les survivants, et miracle, ils auront deux fils. Amoureux, Aimé, amoureuse Génia, mêlant leurs extraordinaires forces vitales pour prolonger la vie...
C'est lui Aimé Oboeuf qui m'a "tatoué", pour ce qui est de la fameuse question éculée "Qu'est-ce que j'aurais fait si j'avais été à ta place ? Est-ce que j'aurais eu le même courage ?" Il me fît une réponse qui me laissa pantois, et que je mis des années à comprendre :"Tu sais, le passé c'est le passé, et pour nous c'était simple finalement. Notre pays était occupé, par une armée étrangère, à l'idéologie criminelle et totalitaire, ces hommes étaient en uniforme et armés. Nous devions donc les combattre par les armes, les renvoyer chez eux et aller y détruire le IIIème Reich. Pour vous la partie sera plus compliquée : vous aurez aussi sûrement à résister, mais contre qui ? Contre quoi ? Vous ne serez peut-être pas occupés, il n'y aura sans doute pas d'armée, pas plus que d'uniformes ni d'armes, ni même d'ennemis déclarés.Pour nous c'était plus simple."
Je compris en 1995, avec la création de l'OMC, le G8, Bush et le Nouvel Ordre Mondial, la fin de l'histoire, et la tribune d'Ignacio Ramonet dans Le Monde Diplomatique en décembre 1997 "Désarmer les marchés", appelant à la création d'ATTAC. La dernière idéologie totalitaire était vaincue, les idiots proclamaient la fin de l'histoire, un nouvel ordre mondial, le capitalisme triomphait. Et j'ai pensé : seul un totalitarisme peut vaincre un autre totalitarisme, donc le capitalisme est bien un totalitarisme, et sa victoire est bien TOTALE, sur toute la surface de la Terre.
J'avais désormais un ennemi TOTAL.
FRED, CAMILLE, JEAN ET LES AUTRES...
Parmi toutes ces rencontres, il y en eut trois plus marquantes encore : Frederic Leist, Paul Bernard, dit "Camille" et Jean Longhi, le commandant Grandjean, Chef Départemental des Maquis.
D'abord, Fred.
Ce merveilleux bonhomme est entré dans notre vie pendant mon enfance, mes souvenirs de lui démarrent vers mes 5 ou 6 ans. Dans sa coccinelle bleu-ciel, il arrivait dans la cour de notre maison d'Urzy impeccablement mis, costume-cravate, ses cheveux blancs toujours coiffés avec la trace du peigne, sentant bon dès l'embrassade, fleurs pour ma mère et gâteaux pour tous. Il n'était pas encore tout à fait en retraite, et terminait sa carrière comme représentant commercial des glaces Miko, d'où les gâteaux. Un jour nous l'attendions mon père mon frère et moi, dans la cour, et mon père nous dit solennellement, et d'une manière tout à fait inhabituelle :
- "A partir d'aujourd'hui je voudrais que vous considériez Fred comme votre grand-père".
Unique photo de Fred, Maman, Laurent et moi, very 80's !
Fred est la seule personne à qui Papa consacre trois pages dans sa thèse. Il faut dire que son histoire est incroyable. D'abord Fred est allemand. Adolescent, il assiste avec son frère à la montée du nazisme à la fin des années 20 et aux début des années 30. Il se bat physiquement dans la rue avec les membres du parti nazi, jeunesse communiste contre jeunesse hitlérienne, à 10 contre 100. Le 28 février 1935, Fred et son frère fuient l'Allemagne.
Ils arrivent à La Rochelle, puis hasard et coïncidence mènent Fred à Nevers en février 36. Il trouve rapidement du travail dans l'entreprise Dehé, et noue des contacts avec des communistes et des syndicalistes nivernais. Organisateur de la grève générale de juin 36, il est renvoyé.
Départ pour l'Espagne en août 36. Il retrouve son frère aîné, et intègre le premier bataillon "Edgar André" de la XIème Brigade Internationale le 6 novembre 36.
Il se fait remarquer d'abord comme soldat, puis en effectuant des missions d'espionnage et de sabotage derrière les lignes ennemies. Quelques arrestations, autant d'évasions. Il est proche (garde du corps / amant ?) de Dolores Ibarruri Gomez, La pasionaria, qui lança "No Pasaran !" d'un balcon à Madrid en juillet 36. La photo existe.
Et pourtant ils passèrent...
Fred rentre à Nevers après la défaite des républicains face à Franco, avec 5 autres compagnons des brigades, quatre allemands dont son frère et un polonais. Ils seront bûcherons. Fred est alors sans-papier. A la déclaration de guerre, citoyen allemand il est arrêté et placé en camp d'internement avec son frère. Montargis, Marseille, c'est dans le train pour Bayonne qu'ils décident de s'enfuir en sautant avec une dizaine de camarades. Il conseille à son frère de se réfugier en Union Soviétique, lui choisit de revenir à Nevers où il dispose du plus de contacts; les deux frères ne se reverront que des années plus tard, en République Démocratique Allemande, l'aîné y est devenu général.
Nevers février 1941, il entre en contact avec les réseaux Kléber puis Marco Polo. Il recueille des renseignements sur les mouvements des divisions allemandes, de La Rochelle à Chalon-sur-Marne. Il est arrêté en passant la ligne de démarcation au Veurdre en juin 1942. Problème : il a sur lui ses deux papiers, les vrais et les faux... Il est emprisonné à la prison de Nevers, c'est pendant cette incarcération qu'il participe à la construction du hangar aéronautique de La Sangsue, toujours existant près de l'aérodrome de Nevers, j'y pense à chaque fois que j'y passe.
Il est interrogé par un officier allemand, à qui il déblatère 32 pages d'aveux. L'officier lui dit :
- "Soit tout cela est faux et vous serez pendu, soit c'est vrai et vous serez fusillé".
L'évasion est la seule issue. Il cherche à être hospitalisé, se brûle et s'infecte le bras sans réaction des matons, et c'est finalement par un stratagème de son réseau Marco Polo, impliquant le commandant de la prison pris en situation d'adultère, qu'il parvient à quitter la prison, et franchir la ligne de démarcation en traversant l'Allier à la nage pour rejoindre ses chefs à Lyon. Ceux-ci l'envoient en Espagne, à Barcelone où il arrive en novembre 1942. Là, il rencontre des agents de l'Office of Strategic Services (l'ancêtre de la CIA), qui lui demandent de retourner en France et de reprendre ses activités de renseignement pour leur compte, en créant son propre réseau Ho-Ho.
Sa mission est la surveillance des côtes atlantiques et méditerranéennes, rien que ça, et son réseau compte rapidement plus de 300 agents ! Fred franchit régulièrement la frontière espagnole pour rendre compte à ses commanditaires américains. Barcelone est un véritable nid d'espions à cette époque. Fred se fait à nouveau arrêter en mars 44, jeté dans une prison espagnole. Il parvient à informer les américains de son arrestation; ils établissent un faux à l'en-tête du Ministère de l'Intérieur Espagnol, et Fred est libéré avec tous les égards. Il est exfiltré via Gibraltar, puis Alger. En août 44, il est parachuté au-dessus de la Montagne Noire; il participe aux combats et à la Libération du Sud-Est, puis est envoyé à Royan. Son combat acharné contre les nazis est stoppé net par un accident de voiture en décembre 44, qui le laissera convalescent jusqu'après l'armistice.
Mon père s'amuse dans sa thèse de ce paradoxe : Fred est sûrement le seul communiste à être titulaire de l'une des plus hautes distinctions américaines : la Médaille de la Liberté avec palme de bronze, décernée à des civils ayant sauvés des soldats américains, précisément de 16 à 35 soldats pour la palme de bronze. La citation détaille :
-"Capitaine Frédéric-Joseph Leist, appartenant à l'armée française (sic ?), a, par son action se rapportant à des opérations militaires contre un ennemi armé, rendu des services d'une valeur exceptionnelle d'avril 1943 à août 1944. Il accomplit, à de grands risques personnels, un travail d'une grosse importance militaire en territoire occupé. Ayant insisté pour être parachuté derrière les lignes ennemies, antérieurement au débarquement allié dans le Sud de la France, il fournit, avec un courage remarquable, un travail d'une valeur inestimable pour soutenir le débarquement allié".
Quel grand-père adoptif !
Quand je l'ai connu, Fred était donc ce petit homme élégant, toujours chaleureux et souriant, les bras chargés de glaces et de gâteaux. Il est arrivé peut-être deux ou trois fois, je ne me rappelle plus, que je passe la soirée chez lui. Je devais avoir 6 ou 7 ans, il venait me chercher à Urzy, nous passions la soirée ensemble chez lui, dans son pavillon vers la rue du champ de tir, là où les condamnés à mort étaient fusillés par les allemands. Dans son garage je me souviens d'un parachute, celui avec lequel il avait sauté sur la Montagne Noire, mais je ne me souviens pas d'autres objets. D'ailleurs il me semble que nous ne parlions pas spécialement de la guerre, mais plutôt de moi (!), c'était toujours des moments agréables, je me souviens qu'on se régalait, au dîner et au petit-déjeuner, croissants et tout. Il me déposait le matin, dans sa belle DS noire, à l'école primaire Blaise Pascal.
Quand je me suis rappelé de ces souvenirs, après la mort de mon père, je me suis dit que c'était quand même bizarre, mes parents qui me laissent dormir chez un vieux monsieur, (je dormais dans son lit !), et j'ai fouillé ma mémoire pour voir si il n'y avait pas un loup, mais non, je n'ai que d'excellents souvenirs avec Fred, et cette fierté calme, profonde et forte d'avoir cette relation unique avec un ancien maître espion...
A mes yeux, James Bond était en carton-pâte, John Wayne en toc, et j'étais fier de connaître de vrais héros de chair et de sang.
Par je ne sais quel concours de l'histoire, Fred était devenu citoyen d'honneur de la RDA, et à ce titre invité chaque année au défilé de l'armée rouge à Berlin Est. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il est mort là-bas d'une crise cardiaque en 1984. Papa faisait la sieste quand ma mère reçu la nouvelle de son décès par un coup de fil, et je me chargeai solennellement de l'annoncer à mon père à son réveil. Je l'attendais au bas de l'escalier, le laissais descendre, et lui lançais l'info sur les dernières marches. Je pensais qu'il allait s'effondrer, pleurer, je croyais détenir une nouvelle fracassante qui allait le bouleverser. Il s'arrêta très brièvement, ne dit rien, et je fus saisi par l'apparente indifférence avec laquelle il reçut l'information.
C'est l'une des questions, l'un des doutes, l'un des nombreux flous "grisés" qui entourent la personnalité de Fred et son passage dans nos vies; et l'histoire de Papa, aussi, d'ailleurs.
Car mon père lui-même faisait souvent le voyage de l'Allemagne de l'Est, peut-être une ou deux fois par an à une époque, dans le cadre du jumelage Nevers-Neubrandenburg. Je me souviens d'une petite voiture jaune qu'il m'avait ramené, mais le reste de l'objet de ces visites reste bien obscur à ce jour, pour moi comme pour ma mère et mon frère. Pendant toutes ces années nous recevions une fois par semaine un paquet de RDA, contenant pour ce que j'en ai vu après la mort de Papa une quantité hallucinante de journaux, encre baveuse sur mauvais papier, le tout ficelé dans du carton gris comme du papier mâché. Ma mère l'accompagna une seule fois, souvenir du restaurant dans la tour ronde emblématique de Berlin-Est; le reste du temps il y allait tout seul. Je me souviens d'une photo sur un bateau, promenade sur un fleuve, une jolie est-allemande à ses côtés, traductrice ? D'ailleurs mon père parlait et lisait l'allemand, il le travaillait même. Lorsque le maire de Neubrandenburg venait à Nevers, il dormait chez nous à Urzy.
Je ne sais pas ce qui se tramait à l'époque... Mais aujourd'hui on connait la force de la Stasi d'alors, j'ai lu quelque part que les terroristes allemands des Brigades Rouges avaient trouvé refuge en RDA, à Neubrandenburg, où la Stasi leur avait fourni fausses identités et emplois municipaux...
Il faudrait faire des recherches; le nom de mon père apparaît-il quelque part ? Et celui de Fred ? De son frère ?
Ils arrivent à La Rochelle, puis hasard et coïncidence mènent Fred à Nevers en février 36. Il trouve rapidement du travail dans l'entreprise Dehé, et noue des contacts avec des communistes et des syndicalistes nivernais. Organisateur de la grève générale de juin 36, il est renvoyé.
Départ pour l'Espagne en août 36. Il retrouve son frère aîné, et intègre le premier bataillon "Edgar André" de la XIème Brigade Internationale le 6 novembre 36.
Il se fait remarquer d'abord comme soldat, puis en effectuant des missions d'espionnage et de sabotage derrière les lignes ennemies. Quelques arrestations, autant d'évasions. Il est proche (garde du corps / amant ?) de Dolores Ibarruri Gomez, La pasionaria, qui lança "No Pasaran !" d'un balcon à Madrid en juillet 36. La photo existe.
Et pourtant ils passèrent...
Fred rentre à Nevers après la défaite des républicains face à Franco, avec 5 autres compagnons des brigades, quatre allemands dont son frère et un polonais. Ils seront bûcherons. Fred est alors sans-papier. A la déclaration de guerre, citoyen allemand il est arrêté et placé en camp d'internement avec son frère. Montargis, Marseille, c'est dans le train pour Bayonne qu'ils décident de s'enfuir en sautant avec une dizaine de camarades. Il conseille à son frère de se réfugier en Union Soviétique, lui choisit de revenir à Nevers où il dispose du plus de contacts; les deux frères ne se reverront que des années plus tard, en République Démocratique Allemande, l'aîné y est devenu général.
Nevers février 1941, il entre en contact avec les réseaux Kléber puis Marco Polo. Il recueille des renseignements sur les mouvements des divisions allemandes, de La Rochelle à Chalon-sur-Marne. Il est arrêté en passant la ligne de démarcation au Veurdre en juin 1942. Problème : il a sur lui ses deux papiers, les vrais et les faux... Il est emprisonné à la prison de Nevers, c'est pendant cette incarcération qu'il participe à la construction du hangar aéronautique de La Sangsue, toujours existant près de l'aérodrome de Nevers, j'y pense à chaque fois que j'y passe.
Il est interrogé par un officier allemand, à qui il déblatère 32 pages d'aveux. L'officier lui dit :
- "Soit tout cela est faux et vous serez pendu, soit c'est vrai et vous serez fusillé".
L'évasion est la seule issue. Il cherche à être hospitalisé, se brûle et s'infecte le bras sans réaction des matons, et c'est finalement par un stratagème de son réseau Marco Polo, impliquant le commandant de la prison pris en situation d'adultère, qu'il parvient à quitter la prison, et franchir la ligne de démarcation en traversant l'Allier à la nage pour rejoindre ses chefs à Lyon. Ceux-ci l'envoient en Espagne, à Barcelone où il arrive en novembre 1942. Là, il rencontre des agents de l'Office of Strategic Services (l'ancêtre de la CIA), qui lui demandent de retourner en France et de reprendre ses activités de renseignement pour leur compte, en créant son propre réseau Ho-Ho.
Sa mission est la surveillance des côtes atlantiques et méditerranéennes, rien que ça, et son réseau compte rapidement plus de 300 agents ! Fred franchit régulièrement la frontière espagnole pour rendre compte à ses commanditaires américains. Barcelone est un véritable nid d'espions à cette époque. Fred se fait à nouveau arrêter en mars 44, jeté dans une prison espagnole. Il parvient à informer les américains de son arrestation; ils établissent un faux à l'en-tête du Ministère de l'Intérieur Espagnol, et Fred est libéré avec tous les égards. Il est exfiltré via Gibraltar, puis Alger. En août 44, il est parachuté au-dessus de la Montagne Noire; il participe aux combats et à la Libération du Sud-Est, puis est envoyé à Royan. Son combat acharné contre les nazis est stoppé net par un accident de voiture en décembre 44, qui le laissera convalescent jusqu'après l'armistice.
Mon père s'amuse dans sa thèse de ce paradoxe : Fred est sûrement le seul communiste à être titulaire de l'une des plus hautes distinctions américaines : la Médaille de la Liberté avec palme de bronze, décernée à des civils ayant sauvés des soldats américains, précisément de 16 à 35 soldats pour la palme de bronze. La citation détaille :
-"Capitaine Frédéric-Joseph Leist, appartenant à l'armée française (sic ?), a, par son action se rapportant à des opérations militaires contre un ennemi armé, rendu des services d'une valeur exceptionnelle d'avril 1943 à août 1944. Il accomplit, à de grands risques personnels, un travail d'une grosse importance militaire en territoire occupé. Ayant insisté pour être parachuté derrière les lignes ennemies, antérieurement au débarquement allié dans le Sud de la France, il fournit, avec un courage remarquable, un travail d'une valeur inestimable pour soutenir le débarquement allié".
Quel grand-père adoptif !
Quand je l'ai connu, Fred était donc ce petit homme élégant, toujours chaleureux et souriant, les bras chargés de glaces et de gâteaux. Il est arrivé peut-être deux ou trois fois, je ne me rappelle plus, que je passe la soirée chez lui. Je devais avoir 6 ou 7 ans, il venait me chercher à Urzy, nous passions la soirée ensemble chez lui, dans son pavillon vers la rue du champ de tir, là où les condamnés à mort étaient fusillés par les allemands. Dans son garage je me souviens d'un parachute, celui avec lequel il avait sauté sur la Montagne Noire, mais je ne me souviens pas d'autres objets. D'ailleurs il me semble que nous ne parlions pas spécialement de la guerre, mais plutôt de moi (!), c'était toujours des moments agréables, je me souviens qu'on se régalait, au dîner et au petit-déjeuner, croissants et tout. Il me déposait le matin, dans sa belle DS noire, à l'école primaire Blaise Pascal.
Quand je me suis rappelé de ces souvenirs, après la mort de mon père, je me suis dit que c'était quand même bizarre, mes parents qui me laissent dormir chez un vieux monsieur, (je dormais dans son lit !), et j'ai fouillé ma mémoire pour voir si il n'y avait pas un loup, mais non, je n'ai que d'excellents souvenirs avec Fred, et cette fierté calme, profonde et forte d'avoir cette relation unique avec un ancien maître espion...
A mes yeux, James Bond était en carton-pâte, John Wayne en toc, et j'étais fier de connaître de vrais héros de chair et de sang.
Par je ne sais quel concours de l'histoire, Fred était devenu citoyen d'honneur de la RDA, et à ce titre invité chaque année au défilé de l'armée rouge à Berlin Est. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il est mort là-bas d'une crise cardiaque en 1984. Papa faisait la sieste quand ma mère reçu la nouvelle de son décès par un coup de fil, et je me chargeai solennellement de l'annoncer à mon père à son réveil. Je l'attendais au bas de l'escalier, le laissais descendre, et lui lançais l'info sur les dernières marches. Je pensais qu'il allait s'effondrer, pleurer, je croyais détenir une nouvelle fracassante qui allait le bouleverser. Il s'arrêta très brièvement, ne dit rien, et je fus saisi par l'apparente indifférence avec laquelle il reçut l'information.
C'est l'une des questions, l'un des doutes, l'un des nombreux flous "grisés" qui entourent la personnalité de Fred et son passage dans nos vies; et l'histoire de Papa, aussi, d'ailleurs.
Car mon père lui-même faisait souvent le voyage de l'Allemagne de l'Est, peut-être une ou deux fois par an à une époque, dans le cadre du jumelage Nevers-Neubrandenburg. Je me souviens d'une petite voiture jaune qu'il m'avait ramené, mais le reste de l'objet de ces visites reste bien obscur à ce jour, pour moi comme pour ma mère et mon frère. Pendant toutes ces années nous recevions une fois par semaine un paquet de RDA, contenant pour ce que j'en ai vu après la mort de Papa une quantité hallucinante de journaux, encre baveuse sur mauvais papier, le tout ficelé dans du carton gris comme du papier mâché. Ma mère l'accompagna une seule fois, souvenir du restaurant dans la tour ronde emblématique de Berlin-Est; le reste du temps il y allait tout seul. Je me souviens d'une photo sur un bateau, promenade sur un fleuve, une jolie est-allemande à ses côtés, traductrice ? D'ailleurs mon père parlait et lisait l'allemand, il le travaillait même. Lorsque le maire de Neubrandenburg venait à Nevers, il dormait chez nous à Urzy.
Je ne sais pas ce qui se tramait à l'époque... Mais aujourd'hui on connait la force de la Stasi d'alors, j'ai lu quelque part que les terroristes allemands des Brigades Rouges avaient trouvé refuge en RDA, à Neubrandenburg, où la Stasi leur avait fourni fausses identités et emplois municipaux...
Il faudrait faire des recherches; le nom de mon père apparaît-il quelque part ? Et celui de Fred ? De son frère ?
Un jour de visite à Urzy, Fred nous prit en photo moi et mon frère, il était fou de photo, toujours l'appareil en bandoulière, comme les vrais allemands de carte postale. Puis il se rendit à Berlin, et oublia de changer de bobines. Les surimpressions ainsi créées bercent mon enfance d'un parfum communiste et rouge, un parfum marxien. J'ai beaucoup aimé "Goodbye Lenine", où flotte ce même parfum.
Fred est mon premier vrai héros, remisant dans mon imaginaire tous les standards du western hollywoodien. Je me disais "ils ne sont pas tous morts, et au contraire, les survivants doivent être de plus grands héros encore que les morts !"
A posteriori, après sa mort, voyant un film avec Jack Lemon, je fus frappé par leur forte ressemblance physique.
A posteriori, après sa mort, voyant un film avec Jack Lemon, je fus frappé par leur forte ressemblance physique.
Il y a quelques années j'avais été contacté par des historiens en charge de mettre à jour le dictionnaire Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement social initié il y a plus de quarante par Jean Maitron (tiens, un Nivernais lui aussi). Ils m'avaient demandé si je possédais une photo de Fred, et je leur avait envoyé celle prise dans la cuisine, avec la silhouette de Fred détourée. Et bien voilà, c'est avec cette photo que Monsieur Frédéric Leist est entré dans Le Maitron !
En 1991, à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, j'avais pour professeur d'histoire Roland Lewin, lui aussi dans le Maitron (je le découvre le 12 avril 2019 !), un bonhomme charismatique qui avait une réputation de tueur d'étudiants au moment du Grand Oral de troisième année. Sa phrase fétiche c'était : "Quand vous serez mort on enverra la facture de la balle à vos parents, comme le camarade Staline !". Il avait été déporté enfant, il vivait seul dans un appartement littéralement envahi de piles de livres menaçant de s'écrouler. Et il m'a tout de suite eu à la bonne. Il portait toujours le même costume marron sale et défraîchi, et fumait des gitanes maïs, il m'en offrait une quand on discutait à la pause. Je l'ai eu en première année, et il voulait que je prenne la section Politique en deuxième année.
Il connaissait la thèse de Papa (j'en étais resté baba, en fait elle était citée dans pas mal d'ouvrages de référence sur la Résistance Nationale, comme un exemple local applicable à l'échelle nationale), et il avait remarqué l'histoire de Fred. Il m'avait interrogé dessus, et lorsqu'il avait su que j'avais personnellement connu Fred il m'avait enjoint de commencer un travail sur lui. Je m'y étais refusé, je ne voulais pas poursuivre l'oeuvre de mon père, je ne voulais pas faire histoire, et encore moins être prof, alors j'avais choisi Economie et Finances en deuxième année, au grand désarroi de Lewin qui ne m'en avait toutefois pas tenu rigueur. Nous sommes restés en contact plusieurs années après Sciences Po, il est mort aujourd'hui.
Mais ce qu'il me disait sur Fred, lui spécialiste des années 30, de la montée du nazisme, de l'extrême droite et de la guerre d'Espagne, c'est qu'il était selon lui impossible d'avoir été à la fois agent secret pour les américains et citoyen d'honneur de la RDA. Il disait que ce genre de personnage double avait forcément été éliminé par un camp ou un autre. Le plus fou dans tout cela, c'est qu'en étant représentant des glaces Miko il restait lié aux Etats-Unis à travers cette entreprise. Lewin me soutenait que cette activité commerciale ressemblait fort à une couverture... Et que quand on est agent c'est à vie, il n'y a pas d'autre retraite que la mort.
Je garde ça en moi, bien enfoui au fond, ma famille ne me suit pas du tout quand j'emprunte ce chemin. On verra, je ne sais pas, peut-être qu'un jour j'en saurais plus ?
Après tout, dans ces mêmes années 83-88, nous avions bien un ministre de la Défense qui s'est avéré, après sa mort rapide, avoir été depuis des décennies espion au service de la Bulgarie ! Et regardez "L'Aveu" de Costa-Gavras : tous les anciens d'Espagne sont condamnés pour trotskisme ou espionnage pour les Américains...
Fred est enterré au cimetière Jean Gautherin de Nevers, vers l'allée 25, loin de Pierre Bérégovoy, un peu moins de Claude Tillier. Sur sa tombe (je me rappelle avoir été là pour l'enterrement de l'urne ramenée de Berlin-Est, c'est grâce à ma mémoire des lieux que je l'ai retrouvé la première fois que je l'ai recherchée), le mystère s'épaissit : je ne vois pas du tout qui sont ces deux femmes et cet homme, les Tort, avec qui il la partage. En interrogeant Génia Oboeuf, elle me dit que sa femme était une fille Chopin, rien à voir. Elle me dit aussi que son frère, que je croyais Général de l'armée soviétique, était Ministre de l'Education de la RDA. C'est la famille Chopin qui tenait le restaurant de Saint-Ouen sur Loire où nous étions aller déjeuner une fois. Alors où est Mademoiselle Chopin ? Sur la pierre verticale, un panneau de marbre blanc porte les noms Tort et Leist, et à plat sur le tombeau lui-même, un étrange carré noir mentionne à nouveau Frédéric Leist, précisant "15 février 1912 - 13 septembre 1984".
En 1991, à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, j'avais pour professeur d'histoire Roland Lewin, lui aussi dans le Maitron (je le découvre le 12 avril 2019 !), un bonhomme charismatique qui avait une réputation de tueur d'étudiants au moment du Grand Oral de troisième année. Sa phrase fétiche c'était : "Quand vous serez mort on enverra la facture de la balle à vos parents, comme le camarade Staline !". Il avait été déporté enfant, il vivait seul dans un appartement littéralement envahi de piles de livres menaçant de s'écrouler. Et il m'a tout de suite eu à la bonne. Il portait toujours le même costume marron sale et défraîchi, et fumait des gitanes maïs, il m'en offrait une quand on discutait à la pause. Je l'ai eu en première année, et il voulait que je prenne la section Politique en deuxième année.
Il connaissait la thèse de Papa (j'en étais resté baba, en fait elle était citée dans pas mal d'ouvrages de référence sur la Résistance Nationale, comme un exemple local applicable à l'échelle nationale), et il avait remarqué l'histoire de Fred. Il m'avait interrogé dessus, et lorsqu'il avait su que j'avais personnellement connu Fred il m'avait enjoint de commencer un travail sur lui. Je m'y étais refusé, je ne voulais pas poursuivre l'oeuvre de mon père, je ne voulais pas faire histoire, et encore moins être prof, alors j'avais choisi Economie et Finances en deuxième année, au grand désarroi de Lewin qui ne m'en avait toutefois pas tenu rigueur. Nous sommes restés en contact plusieurs années après Sciences Po, il est mort aujourd'hui.
Mais ce qu'il me disait sur Fred, lui spécialiste des années 30, de la montée du nazisme, de l'extrême droite et de la guerre d'Espagne, c'est qu'il était selon lui impossible d'avoir été à la fois agent secret pour les américains et citoyen d'honneur de la RDA. Il disait que ce genre de personnage double avait forcément été éliminé par un camp ou un autre. Le plus fou dans tout cela, c'est qu'en étant représentant des glaces Miko il restait lié aux Etats-Unis à travers cette entreprise. Lewin me soutenait que cette activité commerciale ressemblait fort à une couverture... Et que quand on est agent c'est à vie, il n'y a pas d'autre retraite que la mort.
Je garde ça en moi, bien enfoui au fond, ma famille ne me suit pas du tout quand j'emprunte ce chemin. On verra, je ne sais pas, peut-être qu'un jour j'en saurais plus ?
Après tout, dans ces mêmes années 83-88, nous avions bien un ministre de la Défense qui s'est avéré, après sa mort rapide, avoir été depuis des décennies espion au service de la Bulgarie ! Et regardez "L'Aveu" de Costa-Gavras : tous les anciens d'Espagne sont condamnés pour trotskisme ou espionnage pour les Américains...
Fred est enterré au cimetière Jean Gautherin de Nevers, vers l'allée 25, loin de Pierre Bérégovoy, un peu moins de Claude Tillier. Sur sa tombe (je me rappelle avoir été là pour l'enterrement de l'urne ramenée de Berlin-Est, c'est grâce à ma mémoire des lieux que je l'ai retrouvé la première fois que je l'ai recherchée), le mystère s'épaissit : je ne vois pas du tout qui sont ces deux femmes et cet homme, les Tort, avec qui il la partage. En interrogeant Génia Oboeuf, elle me dit que sa femme était une fille Chopin, rien à voir. Elle me dit aussi que son frère, que je croyais Général de l'armée soviétique, était Ministre de l'Education de la RDA. C'est la famille Chopin qui tenait le restaurant de Saint-Ouen sur Loire où nous étions aller déjeuner une fois. Alors où est Mademoiselle Chopin ? Sur la pierre verticale, un panneau de marbre blanc porte les noms Tort et Leist, et à plat sur le tombeau lui-même, un étrange carré noir mentionne à nouveau Frédéric Leist, précisant "15 février 1912 - 13 septembre 1984".
CAMILLE
Après Fred, Camille prit place dans nos vies. Incroyable personnage avec sa mâchoire gouailleuse, et son parler de titi parisien ; un jour sur une petite route au-dessus de Clamecy, j'étais monté avec lui dans son Alpine blanche en sortant de la salle des fêtes où nous avions déjeuné. Il était habillé tout en cuir, pantalon et blouson, mes parents et mon frère nous suivaient dans la CX familiale.
C'est la première fois que je montais avec lui, et il roulait vite vite vite sur la petite route en lacets, moi j'adorais c'était le pied. Tout à coup je l'entends gueuler : "Merde v'là les cognes !" Je n'avais jamais entendu ce mot, mais en voyant les deux motards à ma portière j'ai vite compris.
Il avait tendu ses papiers, j'ai aperçu une carte tricolore, les deux flics se figèrent dans un garde à vous et nous laissèrent repartir en lançant : "Bonne route mon Commandant". Je sur-kiffais... Faut dire que j'avais déjà compris, avant même de le rencontrer, qu'il s'agissait là d'un autre authentique héros.
Camille ne s'appelait pas Camille, ça commence bien. Il s'appelait Paul Bernard, mais très peu de gens connaissent son vrai nom, et encore moins savent pourquoi et comment il est devenu Camille. Depuis j'adore ce prénom, pour un garçon comme pour une fille d'ailleurs.
Après Fred, Camille prit place dans nos vies. Incroyable personnage avec sa mâchoire gouailleuse, et son parler de titi parisien ; un jour sur une petite route au-dessus de Clamecy, j'étais monté avec lui dans son Alpine blanche en sortant de la salle des fêtes où nous avions déjeuné. Il était habillé tout en cuir, pantalon et blouson, mes parents et mon frère nous suivaient dans la CX familiale.
C'est la première fois que je montais avec lui, et il roulait vite vite vite sur la petite route en lacets, moi j'adorais c'était le pied. Tout à coup je l'entends gueuler : "Merde v'là les cognes !" Je n'avais jamais entendu ce mot, mais en voyant les deux motards à ma portière j'ai vite compris.
Il avait tendu ses papiers, j'ai aperçu une carte tricolore, les deux flics se figèrent dans un garde à vous et nous laissèrent repartir en lançant : "Bonne route mon Commandant". Je sur-kiffais... Faut dire que j'avais déjà compris, avant même de le rencontrer, qu'il s'agissait là d'un autre authentique héros.
Camille ne s'appelait pas Camille, ça commence bien. Il s'appelait Paul Bernard, mais très peu de gens connaissent son vrai nom, et encore moins savent pourquoi et comment il est devenu Camille. Depuis j'adore ce prénom, pour un garçon comme pour une fille d'ailleurs.
Mon frère, dans une partie de ping-pong de souvenirs croisés que nous avons engagée, a mis en ligne une anecdote, son souvenir de Camille, assez triste pour le coup, mais drôle aussi... Il a appelé ça "Comment je me suis fait virer du maquis 43 ans après la guerre".
C'est à lire ici, d'ailleurs les autres textes de mon frère Laurent sont tous là : martinetl.free.fr
C'est fou les souvenirs croisés, en diagonale, presque opposés. Complémentaires, en tout cas. Lui parle d'une maison, moi je me souviens d'une caravane. On le taquinait en lui disant :
- "Allez, tu as bien dû garder quelques armes, montre-nous."
Et en arrivant dans son espèce de campement au bord du bois, on avait vu ce tuyau de cheminée sur le toit, et on avait dit:
- "Là déjà, un bazooka !"
Ca l'avait fait marrer, et Papa aussi. Mon frère se souvient de la Maserati et de la SM, moi de l'Alpine. Et quant à l'Audi 100 CD5E objet de son texte, lui se rappelle de l'écusson collé à l'arrière, une tête de Goth, emblème de son maquis, moi je me rappelle de l'antenne qui se dépliait automatiquement quand on allumait l'autoradio.
Et lui ne se rappelle pas du souvenir qui m'a le plus marqué : il nous fait visiter sa caravane, nous montre sa chambre à coucher, soulève son oreiller : un Colt 45 à crosse de nacre, reçu dans un des derniers parachutages de l'été 44.
C'est à lire ici, d'ailleurs les autres textes de mon frère Laurent sont tous là : martinetl.free.fr
C'est fou les souvenirs croisés, en diagonale, presque opposés. Complémentaires, en tout cas. Lui parle d'une maison, moi je me souviens d'une caravane. On le taquinait en lui disant :
- "Allez, tu as bien dû garder quelques armes, montre-nous."
Et en arrivant dans son espèce de campement au bord du bois, on avait vu ce tuyau de cheminée sur le toit, et on avait dit:
- "Là déjà, un bazooka !"
Ca l'avait fait marrer, et Papa aussi. Mon frère se souvient de la Maserati et de la SM, moi de l'Alpine. Et quant à l'Audi 100 CD5E objet de son texte, lui se rappelle de l'écusson collé à l'arrière, une tête de Goth, emblème de son maquis, moi je me rappelle de l'antenne qui se dépliait automatiquement quand on allumait l'autoradio.
Et lui ne se rappelle pas du souvenir qui m'a le plus marqué : il nous fait visiter sa caravane, nous montre sa chambre à coucher, soulève son oreiller : un Colt 45 à crosse de nacre, reçu dans un des derniers parachutages de l'été 44.
Dédicace de Camille à mon père, avec un "Z" qui veut dire Camille !
Camille était né à Verdun, pendant la première guerre mondiale. Enfant il jouait avec les armes et les munitions ramassées par kilos dans les champs alentours.
Comme dans "Une prière pour Owen" de John Irving, où le type se prépare toute sa vie à marquer un panier en double salto arrière. Il ne sait pas pourquoi mais il répète sans cesse les mêmes gestes, jusqu'au jour où il déjoue un attentat en jetant la bombe dans une petite lucarne en répétant au millimètre près les gestes qu'il travaille depuis toutes ces années. Camille c'est pareil.
Après Verdun, sa famille s'installa à Paris, à Montreuil, ce qui explique l'accent et l'argot des titis. Sur les bancs de la communale, il rencontre Jean Longhi, le futur Commandant Grandjean, mais ils n'en savent rien alors.
JEAN
Jean est né en Corse, à Corte, et je ne sais plus pour quelle raison il arrive à Paris élevé par une tante. Ils deviennent instantanément les meilleurs amis du monde, et cela sera vrai jusqu'à la mort de Camille, le premier à partir en 1992. L'école envoie alors régulièrement les enfants en classe verte, à la campagne, pour se consolider et se remettre des carences dues à la guerre. Leur campagne à eux, c'est le Morvan, et là aussi le coup de foudre est immédiat. Ils grandissent, font leurs études, mais Jean se politise rapidement, sous l'influence affectueuse de son grand frère Pierre, premier adjoint de Jacques Duclos maire de Montreuil et Secrétaire Général du PCF. Camille s'en tamponne le coquillard, de la politique et du reste. Lui c'est les filles.
Comme dans "Une prière pour Owen" de John Irving, où le type se prépare toute sa vie à marquer un panier en double salto arrière. Il ne sait pas pourquoi mais il répète sans cesse les mêmes gestes, jusqu'au jour où il déjoue un attentat en jetant la bombe dans une petite lucarne en répétant au millimètre près les gestes qu'il travaille depuis toutes ces années. Camille c'est pareil.
Après Verdun, sa famille s'installa à Paris, à Montreuil, ce qui explique l'accent et l'argot des titis. Sur les bancs de la communale, il rencontre Jean Longhi, le futur Commandant Grandjean, mais ils n'en savent rien alors.
JEAN
Jean est né en Corse, à Corte, et je ne sais plus pour quelle raison il arrive à Paris élevé par une tante. Ils deviennent instantanément les meilleurs amis du monde, et cela sera vrai jusqu'à la mort de Camille, le premier à partir en 1992. L'école envoie alors régulièrement les enfants en classe verte, à la campagne, pour se consolider et se remettre des carences dues à la guerre. Leur campagne à eux, c'est le Morvan, et là aussi le coup de foudre est immédiat. Ils grandissent, font leurs études, mais Jean se politise rapidement, sous l'influence affectueuse de son grand frère Pierre, premier adjoint de Jacques Duclos maire de Montreuil et Secrétaire Général du PCF. Camille s'en tamponne le coquillard, de la politique et du reste. Lui c'est les filles.
Pierre Longhi et Jacques Duclos.
En 36 Jean part en Espagne, ce qui n'effleure même pas Camille.
Contrairement à Fred, Jean n'intègre pas les Brigades Internationales. Il a une mission. Fraîchement diplômé d'une école d'ingénieur, il est dessinateur industriel, et travaille pour un fabricant de machines agricoles. Un jour il est contacté par Jean Jérôme sur recommandation de son frère. Jean Jérôme, je vous laisse taper sur Wikipedia, y'en a trop long. En gros il était responsable financier du PCF des années 30 jusqu'aux années 90. Il convoque notre Jean dans son bureau, et lui offre une mission civile : il doit se rendre en Espagne, au Sud de Valence, acheter un terrain, construire une usine, embaucher des ouvriers et fabriquer des armes, essentiellement des pistolets des des pistolets-mitrailleurs copiés à partir de plans du fabriquant Beretta. Voilà voilà. Vous acceptez ? Il accepte, et sort du bureau avec une enveloppe pleine de billets pour lancer l'affaire.
Jean remplira sa mission à la perfection, approvisionnant en armes les Républicains Espagnols jusqu'à la dernière minute, le jour de l'entrée de Franco dans Valencia.
Retour à Paris, retrouvailles avec Camille. 38-39, déclaration de guerre, ils sont mobilisés séparément mais se retrouvent aux premiers jours de la débâcle. Jean me racontait le spectacle désolant de cette France apeurée sur les routes, criant pleurant geignant, et lui qui remontait dans l'autre sens, et qui s'amusait en leur disant : "Ils ne vous feront pas un deuxième trou !"
Ils n'ont pas besoin d'un appel ou d'un autre pour tomber d'accord, ils n'attendent pas d'ordre ou d'invitation pour faire ce constat : la défaite est inacceptable, l'armistice est hors de question, il faut se battre, chasser les allemands et les collabos avec.
D'abord chercher les alliés possibles, ensuite propager le message de la résistance naissante face à la propagande vichyste et allemande, puis commencer des actions.
Ils forment alors une première cellule à trois, sur le modèle triangulaire qui sera la base de la résistance communiste, les Francs Tireurs et Partisans Français, et qui reste aujourd'hui la cellule de base pour toute action clandestine : dans chaque groupe de trois partisans, un seul est en contact avec une personne du groupe de trois supérieur dans la chaîne de commandement, et un seul autre est en contact avec une personne du groupe de trois inférieur. Camille, le vrai, dont je ne connais toujours pas le nom de famille à ce jour, est donc le troisième homme de Jean et Paul.
Ils font des petites actions, diffusent des tracs, compilent des informations, et décident une première action importante de sabotage dans l'usine où travaille le vrai Camille. Cette usine, réquisitionnée comme le reste, fabrique les câbles électriques qui permettent les radio transmissions de l'armée allemande. Elle reçoit une grosse commande pour des kilomètres de câbles. Camille le vrai organise une équipe parmi ses collègues. Leur tâche : glisser dans les gaînes plastiques qui entourent les fils électriques de petites pointes d'acier, si courtes qu'une fois enfoncées la gaîne vient les recouvrir et les cacher. La commande est livrée sur le front, les fils sont connectés, et les opérateurs radio arrachent leurs casques des oreilles pour ne pas devenir sourds avec le sifflement - grésillement produit par les petites pointes placées tous les 50 centimètres.
Opération réussie. Mais problème : les allemands enquêtent, remontent le fil jusqu'à l'usine. Tous les ouvriers sont rassemblés, les allemands demandent aux responsables de se dénoncer, personne ne bronche, et personne ne bronchera. Tous furent arrêtés et déportés, Camille le vrai compris. Peu revinrent, lui non.
Cette histoire, je ne l'ai pas lu dans le livre de mon père, c'est Jean qui me l'a directement racontée le jour où je lui ai demandé d'où venait le surnom de Camille.
Elle est l'un des premiers cas de conscience auxquels les anciens m'ont confrontés. Toute une usine déportée pour une action ? Malgré toute la radicalité de mon adolescence, je trouvais ça très dur, et injuste.
Pour ce cas et les suivants, une seule chose comptait : la réussite de la mission.
Contrairement à Fred, Jean n'intègre pas les Brigades Internationales. Il a une mission. Fraîchement diplômé d'une école d'ingénieur, il est dessinateur industriel, et travaille pour un fabricant de machines agricoles. Un jour il est contacté par Jean Jérôme sur recommandation de son frère. Jean Jérôme, je vous laisse taper sur Wikipedia, y'en a trop long. En gros il était responsable financier du PCF des années 30 jusqu'aux années 90. Il convoque notre Jean dans son bureau, et lui offre une mission civile : il doit se rendre en Espagne, au Sud de Valence, acheter un terrain, construire une usine, embaucher des ouvriers et fabriquer des armes, essentiellement des pistolets des des pistolets-mitrailleurs copiés à partir de plans du fabriquant Beretta. Voilà voilà. Vous acceptez ? Il accepte, et sort du bureau avec une enveloppe pleine de billets pour lancer l'affaire.
Jean remplira sa mission à la perfection, approvisionnant en armes les Républicains Espagnols jusqu'à la dernière minute, le jour de l'entrée de Franco dans Valencia.
Retour à Paris, retrouvailles avec Camille. 38-39, déclaration de guerre, ils sont mobilisés séparément mais se retrouvent aux premiers jours de la débâcle. Jean me racontait le spectacle désolant de cette France apeurée sur les routes, criant pleurant geignant, et lui qui remontait dans l'autre sens, et qui s'amusait en leur disant : "Ils ne vous feront pas un deuxième trou !"
Ils n'ont pas besoin d'un appel ou d'un autre pour tomber d'accord, ils n'attendent pas d'ordre ou d'invitation pour faire ce constat : la défaite est inacceptable, l'armistice est hors de question, il faut se battre, chasser les allemands et les collabos avec.
D'abord chercher les alliés possibles, ensuite propager le message de la résistance naissante face à la propagande vichyste et allemande, puis commencer des actions.
Ils forment alors une première cellule à trois, sur le modèle triangulaire qui sera la base de la résistance communiste, les Francs Tireurs et Partisans Français, et qui reste aujourd'hui la cellule de base pour toute action clandestine : dans chaque groupe de trois partisans, un seul est en contact avec une personne du groupe de trois supérieur dans la chaîne de commandement, et un seul autre est en contact avec une personne du groupe de trois inférieur. Camille, le vrai, dont je ne connais toujours pas le nom de famille à ce jour, est donc le troisième homme de Jean et Paul.
Ils font des petites actions, diffusent des tracs, compilent des informations, et décident une première action importante de sabotage dans l'usine où travaille le vrai Camille. Cette usine, réquisitionnée comme le reste, fabrique les câbles électriques qui permettent les radio transmissions de l'armée allemande. Elle reçoit une grosse commande pour des kilomètres de câbles. Camille le vrai organise une équipe parmi ses collègues. Leur tâche : glisser dans les gaînes plastiques qui entourent les fils électriques de petites pointes d'acier, si courtes qu'une fois enfoncées la gaîne vient les recouvrir et les cacher. La commande est livrée sur le front, les fils sont connectés, et les opérateurs radio arrachent leurs casques des oreilles pour ne pas devenir sourds avec le sifflement - grésillement produit par les petites pointes placées tous les 50 centimètres.
Opération réussie. Mais problème : les allemands enquêtent, remontent le fil jusqu'à l'usine. Tous les ouvriers sont rassemblés, les allemands demandent aux responsables de se dénoncer, personne ne bronche, et personne ne bronchera. Tous furent arrêtés et déportés, Camille le vrai compris. Peu revinrent, lui non.
Cette histoire, je ne l'ai pas lu dans le livre de mon père, c'est Jean qui me l'a directement racontée le jour où je lui ai demandé d'où venait le surnom de Camille.
Elle est l'un des premiers cas de conscience auxquels les anciens m'ont confrontés. Toute une usine déportée pour une action ? Malgré toute la radicalité de mon adolescence, je trouvais ça très dur, et injuste.
Pour ce cas et les suivants, une seule chose comptait : la réussite de la mission.
Paul et Jean se retrouvent donc seuls, c'est Camille qui avait le contact au-dessus. Dès lors ils rentrent en clandestinité, et leurs jours sont comptés à Paris. Rentrant à Montreuil pour retrouver son frère, Jean est prévenu par une voisine que la police est chez lui. Il tourne les talons, rejoint Camille. Ils décident de se mettre au vert, dans ce Morvan qu'ils connaissent si bien depuis l'enfance, et qu'ils ont continuer de parcourir jeunes hommes venant y faire du camping en moto. Jean ne reverra jamais son frère, mort en déportation.
Camille et Jean font les bûcherons l'hiver 41. Embauchés dans une société de sciage, qui camouflent des réfugiés divers, dont de nombreux juifs. Quelques semaines plus tard, ils sont prévenus par la soeur de Jean que la police est sur leur trace, qu'ils sont repérés dans le Morvan. Ils informent leurs employeurs et leurs compagnons, qui ne croient pas courir un tel danger. Ils se trompent. Prévenus du jour de la rafle, après avoir tout fait pour persuader les juifs du danger, Camille et Jean se cachent dans les bois dominant la scierie, et assistent à la rafle qui n'épargne personne, tout en plumant une volaille ! Le dénonciateur français, entré par un côté du bâtiment, se prend une rafale quand il ressort par l'autre.
En plus d'être clandestins, ils sont désormais des hommes des bois ne pouvant compter que sur eux. Ils rencontrent quand même quelques camarades, et forment un embryon de maquis de 5 hommes début 42. Ils se déplacent fréquemment, jouant de la configuration du Morvan à cheval sur quatre départements Nièvre, Côte d'Or, Yonne et Saône-et-Loire, ce qui brouille les pistes et ralentit les enquêtes, au moins dans un premier temps.
En plus d'être clandestins, ils sont désormais des hommes des bois ne pouvant compter que sur eux. Ils rencontrent quand même quelques camarades, et forment un embryon de maquis de 5 hommes début 42. Ils se déplacent fréquemment, jouant de la configuration du Morvan à cheval sur quatre départements Nièvre, Côte d'Or, Yonne et Saône-et-Loire, ce qui brouille les pistes et ralentit les enquêtes, au moins dans un premier temps.
Photo souriante, août ou septembre 44, les allemands ont fuient, au milieu de la cour de la ferme des Goths qui leur a servi de dernier camp en dur, après les bois, avec infirmerie, et comble du luxe le terrain de parachutage situé dans le champ juste à côté. Pratique. Camille est le deuxième en partant de la gauche, Jean est le quatrième.
C'est ce groupe qui obtient le premier parachutage anglais dans le Morvan en novembre 42 (c'est tôt !), au moment où les Allemands franchissent la ligne de démarcation pour occuper l'ensemble du territoire.
Voici un film que j'ai réalisé en 1998, avec mon ami Fabrice Sanchez à la caméra, qui raconte tout en détail depuis la préparation du terrain, jusqu'à l'objectif de la mission : livrer un poste émetteur au Parti Communiste Clandestin à Paris pour lui permettre d'entrer en contact avec de Gaulle à Londres. Comme Jean nous le raconte ici, le convoyeur du poste est arrêté dans une rafle aveugle à Paris, et il a gardé un plan de l'endroit où est enterré le container cousu dans la doublure de sa veste... Outre la perte du matériel qu'ils n'avaient pas eu le temps de récupérer, des arrestations, des déportations et des morts s'ensuivront.
Voici un film que j'ai réalisé en 1998, avec mon ami Fabrice Sanchez à la caméra, qui raconte tout en détail depuis la préparation du terrain, jusqu'à l'objectif de la mission : livrer un poste émetteur au Parti Communiste Clandestin à Paris pour lui permettre d'entrer en contact avec de Gaulle à Londres. Comme Jean nous le raconte ici, le convoyeur du poste est arrêté dans une rafle aveugle à Paris, et il a gardé un plan de l'endroit où est enterré le container cousu dans la doublure de sa veste... Outre la perte du matériel qu'ils n'avaient pas eu le temps de récupérer, des arrestations, des déportations et des morts s'ensuivront.
C'était extraordinaire de filmer et d'interviewer Jean. Vous entendrez ici ou là des chutes de sons, au début ou à la fin des prises, mais ces séquences n'ont pas eu besoin d'être montées, ce ne sont que des plans séquences, et Jean, avec sa belle voix et sa belle figure, parle sans hésitation, sans coupure, sans perdre le fil de sa pensée... Il parle en ingénieur, il expose les faits, je l'entends encore dire "Par conséquent..."
Nous terminâmes cette journée devant la stèle à Plainefas, après un bon repas à L'Auberge Ensoleillée de Dun-les-Places (d'où le petit rototo), où j'ai réussi à faire parler Jean de Camille, de leur amitié de 75 ans, avec ses dits et ses non-dits...
Assistant un jour à une réunion au Musée de la Résistance de Saint Brisson où j'étais allé avec Jean (il y avait aussi Serge Ravanel, Chef des FTP de la région de Toulouse, regardez https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Ravanel), j'entends deux anciens, juste devant moi, l'un qui dit à l'autre :
- "Grandjean ? Une épée !"
Je ne connaissais pas cette vieille expression, mais je l'ai tout de suite comprise, je leur ai souri, et on a tous les trois levé les yeux au ciel.
Si j'avais bien rencontré Jean étant enfant (Papa avait organisé une rencontre chez nous au Vivier, entre Camille, Jean et Fred, mais la sauce n'avait jamais pris entre ces trois héros, à la grande déception de Papa, et rétrospectivement à la mienne), ce n'était pas celui qui était le plus proche de Papa et donc de nous, surtout parce qu'il n'est revenu dans le Morvan qu'en 1976, à cette époque mon père avait presque terminé sa thèse, et même s'il y est bien sûr présent, il est moins incarné. Ils se sont loupés en quelque sorte.
Lorsque je l'ai recontacté en 1995, je venais de créer une société de production audiovisuelle, Artemus Productions. Nous réalisions des films institutionnels pour la Région ou le Département, mais aussi des films documentaires pour la télévision. J'ai eu envie de filmer Jean sans qu'il y ait un projet précis. Nos "retrouvailles" ont été très chaleureuses, très naturelles. Il avait suivi de loin mais avec beaucoup d'attention notre histoire familiale, avec la mort de Papa en 1988, je ne sais pas s'il est venu à l'enterrement, mais je crois bien que si. Nous sommes devenus, ou redevenus, profondément amis, avec cette différence d'âge que l'on oubliait presque totalement dans nos discussions.
Jean n'était vraiment pas versé dans le passé, il le faisait par devoir, mais toute son attention restait concentrée sur le monde tel qu'il va, il était magnifiquement dans le présent.
Je devais manger presque 80 kilomètres de petites routes pour relier Nevers à Saint-Martin-du-Puy, où il résidait et dont il avait été maire. Nos rencontres se transformaient en interviews, pour finir en tournage. Je ne voulais surtout pas le filmer dans son salon, comme tant d'autres témoignages d'Anciens, je voulais "profiter" de son excellente santé physique et mentale pour le faire parler sur les sites mêmes de ses actions. Cela nous donnait en plus l'occasion de déjeuner ensemble le midi, pour couper ces longues journées commencées tôt et finies tard.
Sa femme faisait un peu les gros yeux. Elle avait été toutes ces années un rempart infranchissable pour aborder son Jean. Elle ne voulait plus entendre parler de Résistance, et disait que ça le fatiguait. Alors qu'elle avait été agent de liaison du maquis, faisant au moins un aller-retour par semaine à vélo entre le Morvan et Nevers. Mais elle m'aimait bien, et elle acceptait que je le kidnappe. J'adorais le conduire sur ces routes, les trajets étaient émaillés d'anecdotes à chaque virage. J'aimais le sentir là, à ma droite, sa présence était profondément réconfortante.
A la fin de l'expérience audiovisuelle, je suis parti au Brésil, puis je me suis installé à Paris où mon fils est né, ensuite nous sommes allés à Lyon, et le contact ne s'est plus jamais rompu, jusqu'à sa mort le 25 décembre 2005, le jour anniversaire des 5 ans de mon fils. Heureusement il avait eu le temps de le rencontrer, de le prendre sur ses genoux.
A distance nous échangions beaucoup par mail, j'en ai gardés, dont ceux de 2002 où il prévoyait la cata des présidentielles. En bon ingénieur Jean s'était parfaitement adapté aux nouvelles technologies qui le maintenaient en contact avec ses petits-enfants.
J'ai conservé cette carte de voeux, qui m'attendrit toujours autant, ses derniers mots me foutent la chair de poule...
- "Grandjean ? Une épée !"
Je ne connaissais pas cette vieille expression, mais je l'ai tout de suite comprise, je leur ai souri, et on a tous les trois levé les yeux au ciel.
Si j'avais bien rencontré Jean étant enfant (Papa avait organisé une rencontre chez nous au Vivier, entre Camille, Jean et Fred, mais la sauce n'avait jamais pris entre ces trois héros, à la grande déception de Papa, et rétrospectivement à la mienne), ce n'était pas celui qui était le plus proche de Papa et donc de nous, surtout parce qu'il n'est revenu dans le Morvan qu'en 1976, à cette époque mon père avait presque terminé sa thèse, et même s'il y est bien sûr présent, il est moins incarné. Ils se sont loupés en quelque sorte.
Lorsque je l'ai recontacté en 1995, je venais de créer une société de production audiovisuelle, Artemus Productions. Nous réalisions des films institutionnels pour la Région ou le Département, mais aussi des films documentaires pour la télévision. J'ai eu envie de filmer Jean sans qu'il y ait un projet précis. Nos "retrouvailles" ont été très chaleureuses, très naturelles. Il avait suivi de loin mais avec beaucoup d'attention notre histoire familiale, avec la mort de Papa en 1988, je ne sais pas s'il est venu à l'enterrement, mais je crois bien que si. Nous sommes devenus, ou redevenus, profondément amis, avec cette différence d'âge que l'on oubliait presque totalement dans nos discussions.
Jean n'était vraiment pas versé dans le passé, il le faisait par devoir, mais toute son attention restait concentrée sur le monde tel qu'il va, il était magnifiquement dans le présent.
Je devais manger presque 80 kilomètres de petites routes pour relier Nevers à Saint-Martin-du-Puy, où il résidait et dont il avait été maire. Nos rencontres se transformaient en interviews, pour finir en tournage. Je ne voulais surtout pas le filmer dans son salon, comme tant d'autres témoignages d'Anciens, je voulais "profiter" de son excellente santé physique et mentale pour le faire parler sur les sites mêmes de ses actions. Cela nous donnait en plus l'occasion de déjeuner ensemble le midi, pour couper ces longues journées commencées tôt et finies tard.
Sa femme faisait un peu les gros yeux. Elle avait été toutes ces années un rempart infranchissable pour aborder son Jean. Elle ne voulait plus entendre parler de Résistance, et disait que ça le fatiguait. Alors qu'elle avait été agent de liaison du maquis, faisant au moins un aller-retour par semaine à vélo entre le Morvan et Nevers. Mais elle m'aimait bien, et elle acceptait que je le kidnappe. J'adorais le conduire sur ces routes, les trajets étaient émaillés d'anecdotes à chaque virage. J'aimais le sentir là, à ma droite, sa présence était profondément réconfortante.
A la fin de l'expérience audiovisuelle, je suis parti au Brésil, puis je me suis installé à Paris où mon fils est né, ensuite nous sommes allés à Lyon, et le contact ne s'est plus jamais rompu, jusqu'à sa mort le 25 décembre 2005, le jour anniversaire des 5 ans de mon fils. Heureusement il avait eu le temps de le rencontrer, de le prendre sur ses genoux.
A distance nous échangions beaucoup par mail, j'en ai gardés, dont ceux de 2002 où il prévoyait la cata des présidentielles. En bon ingénieur Jean s'était parfaitement adapté aux nouvelles technologies qui le maintenaient en contact avec ses petits-enfants.
J'ai conservé cette carte de voeux, qui m'attendrit toujours autant, ses derniers mots me foutent la chair de poule...
Jean a lui aussi sa fiche wikipedia, pour être tout à fait complet. C'est ici.
J'ai appris sa mort à Lyon, et je n'ai pas pu venir à son enterrement. Pris à la gorge par l'émotion, j'ai écrit ce texte à chaud.
"28 décembre 2005, déjà 29, la minuit est passée. J’ai appris il y a trois heures la mort de Jean Longhi.
Grandjean, Le Commandant.
De ma fenêtre, Lyon se taît sous la neige, j’allume une bougie – photophore. Victor mon grand-père est mort le 31 décembre 2003, ils étaient tous les deux de 1910. Maceo mon fils est né le 25 décembre 2000, il les a connu tous les deux, un peu. J’apprends que Jean est mort justement ce 25 décembre. Précisément. J’allume une bougie et je pose le portrait de Jean dessiné au maquis par l’un de ses hommes, dit Cherbourg. Il est graphé rapidement, au vif, les yeux mi-clos presque endormi, calme et serein à son habitude. La lumière vacille sur son visage de trente ans, derrière la vitre la neige alourdit les toits de Lyon. Je te pleure, Jean.
- « Tu vois j’rouille pas ! »
Ce soir, cette nuit, j’observe en pleurant le reflet de Jean sur ma fenêtre, derrière au fond les vitraux illuminés d’une église, couleurs nettes sur le noir de la nuit et le blanc de la neige. Devant, sous mes yeux, le funiculaire de la place Croix-Paquet, que l’autre Jean emprunta pour se rendre à son dernier rendez-vous, Caluire. La rame arrive et s’arrête en crissant de tout son câble huileux, je l’entends ding-donguer et partir ; c’est le dernier ? Croix-Rousse, Croix-Paquet, Croix de toi, Croix de moi, Croix de tout, Croix de tous. Nos routes s’étaient croisées, puis elles se sont accompagnées. Jean est mort. Nos chemins s’éloigneront-ils ? Je te sens tellement proche maintenant, encore plus proche que vivant. Je te vois, je t’entends nettement.
Alors ? Alors NON. C’est bon de se battre, me disais-tu."
J'ai appris sa mort à Lyon, et je n'ai pas pu venir à son enterrement. Pris à la gorge par l'émotion, j'ai écrit ce texte à chaud.
"28 décembre 2005, déjà 29, la minuit est passée. J’ai appris il y a trois heures la mort de Jean Longhi.
Grandjean, Le Commandant.
De ma fenêtre, Lyon se taît sous la neige, j’allume une bougie – photophore. Victor mon grand-père est mort le 31 décembre 2003, ils étaient tous les deux de 1910. Maceo mon fils est né le 25 décembre 2000, il les a connu tous les deux, un peu. J’apprends que Jean est mort justement ce 25 décembre. Précisément. J’allume une bougie et je pose le portrait de Jean dessiné au maquis par l’un de ses hommes, dit Cherbourg. Il est graphé rapidement, au vif, les yeux mi-clos presque endormi, calme et serein à son habitude. La lumière vacille sur son visage de trente ans, derrière la vitre la neige alourdit les toits de Lyon. Je te pleure, Jean.
- « Tu vois j’rouille pas ! »
Ce soir, cette nuit, j’observe en pleurant le reflet de Jean sur ma fenêtre, derrière au fond les vitraux illuminés d’une église, couleurs nettes sur le noir de la nuit et le blanc de la neige. Devant, sous mes yeux, le funiculaire de la place Croix-Paquet, que l’autre Jean emprunta pour se rendre à son dernier rendez-vous, Caluire. La rame arrive et s’arrête en crissant de tout son câble huileux, je l’entends ding-donguer et partir ; c’est le dernier ? Croix-Rousse, Croix-Paquet, Croix de toi, Croix de moi, Croix de tout, Croix de tous. Nos routes s’étaient croisées, puis elles se sont accompagnées. Jean est mort. Nos chemins s’éloigneront-ils ? Je te sens tellement proche maintenant, encore plus proche que vivant. Je te vois, je t’entends nettement.
Alors ? Alors NON. C’est bon de se battre, me disais-tu."
Camille et Jean ne se sont jamais fait attraper, même s'il s'en est fallu parfois de très peu, et leur groupe, puis leur maquis, souvent attaqués, ne se sont jamais fait exterminer, comme c'est arrivé à plein d'autres moins bien préparés, moins bien dirigés. Les officiers s'inventant maquisards en juin 44, ont trop souvent livré leurs jeunes recrues à peine formées - limite boys scouts - aux Mauser des Allemands, massacrés par grappes de 50...
Tous les morts du maquis Camille, de novembre 42 à septembre 44, tiennent sur une stèle de granit, à Plainefas, et Camille avait souhaité que ses cendres viennent les y rejoindre, ce qui fut fait.
Ils incarnent la Résistance civile intérieure dans ce qu'elle eût de meilleur, essentiellement d'origine FTP, la résistance activiste dès 41-42, organisée en guerilla harcelant les Allemands en changeant sans cesse de camp de base, quand la Gaulliste, attentiste, préconisait le regroupement de recrues (Vercors, Glières), leur entraînement, puis l'attente de l'ordre inter-allié pour intégrer une unité combattante. Des centaines de morts.
A tout cela il faudra que j'ajoute :
- l'histoire du jeune trublion qui tua un républicain espagnol du maquis par accident, et du prix qu'il paya en conséquence, la voici enfin (8 mars 2019, suite à la sollicitation de Vincent Gérard qui pense à en faire un film :
"C’était sans doute avant l’explosion démographique des maquis à partir du 6 juin 1944, peut-être à l’hiver 43-44.
Le maquis Camille avait déjà 3 ans d’existence.
Initié par Jean Longhi et Paul Bernard, deux hommes « grillés » en région parisienne et réfugiés dans le Morvan, il fut ensuite une petite cellule de 5 hommes, puis grossit lentement jusqu’au boom de juin 44.
En septembre 44, le maquis Camille est l’un des plus importants de la zone avec ses 1 000 hommes.
Mais au moment de cette histoire, il devait être constitué d’une centaine d’hommes environ.
Il était encore très mobile, avec son organisation en groupes de 12 et de 3, mais il avait aussi déjà des campements solidement installés, même s’il devait souvent les déplacer.
Baraques en bois, poste de commandement, radio, infirmerie, cantine. Les hommes dormaient sous des tentes disséminées dans les bois alentour.
Ce jour-là, il y avait formation pour les nouvelles recrues.
Le premier exercice était le démontage-remontage intégral de la mitraillette anglaise Sten, les yeux bandés.
Cette petite mitraillette extraordinaire a joué un grand rôle dans les combats de la résistance française et même partout en Europe et au-delà.
C’est Churchill qui en avait passé commande aux ingénieurs anglais. En fait il leur avait demandé deux choses : un excellent avion capable de surpasser les avions allemands, ce fut le Spitfire, et une mitraillette qui ne craigne ni le froid ni la boue ni le désert, que tout bon maréchal ferrant soit capable d’en réparer n’importe quelle pièce.
Réduite au strict minimum, la Sten est un squelette de mitraillette, sans crosse de bois, toute de métal.
Son principal défaut fur rapidement détecté : son système de percussion était très sensible, la petite mécanique tenue par des ressorts se déclenchait très facilement, à la moindre secousse. Il suffisait de sauter d’un camion au sol en la tenant à bout de bras pour que le coup parte. Enfin le coup, la rafale plutôt, parce que question arrosage, la Sten n’était pas non plus d’une grande précision.
Parmi les derniers arrivés, il y avait ce jeune homme, la vingtaine, un enragé qui ne parlait que de tuer du boche. Il s’était déjà présenté quelques semaines auparavant, mais il avait été refusé, jugé trop énervé. Il faut dire que son père avait été fusillé quelques mois plus tôt.
Alors il s’était représenté, et face à son insistance les chefs l’avaient finalement accepté. En le mettant en garde. Il faut que tu te calmes, on ne va pas t’envoyer tout de suite au combat, d’abord il faut que tu te formes, sois patient, calme-toi.
Et le voilà à l’exercice de la Sten, le premier jour dans le bois, au milieu du camp, enfin un peu à l’écart des baraques quand même.
Il démonte fébrilement l’arme, la remonte précipitamment, et lorsqu’il enclenche la dernière pièce, le chargeur, une longue rafale vomit ses balles à hauteur d’homme, en direction du centre du camp.
Sous une tente, se tenait debout un vieil espagnol. Enfin il n’était pas si vieux, mais à plus de 30 ans il avait déjà à son actif 7 années de guerre en Espagne puis là, en France, dans le Morvan.
3 ou 4 balles de travers en plein torse, il s’écroule raide mort. C’était l’un des lieutenants préférés de Camille, l’un de ceux sans qui il ne partait jamais.
Il n’y eut pas d’autre victime, pas d’autre blessé.
Juste lui.
Jean Longhi alias Grandjean n’est pas au camp à ce moment-là. Il a été nommé entre-temps Chef Départemental Maquis et a donc laissé le commandement à Paul Bernard, alias Camille.
Camille et ses officiers arrêtent le jeune, et décident de le juger. Ils organisent un procès, avec accusation, défense, jury.
Il est condamné. Il pleure, il s’en veut, il s’excuse.
Trois hommes l’emmènent à l’écart, plus loin au fond du bois.
Une balle.
Je ne sais pas qui a tiré, je ne suis pas sûr, mais il est probable que ce soit Camille.
Cette histoire c’est Grandjean qui me l’a raconté.
Quand il est arrivé au camp tout était déjà fini.
Il n’a jamais oublié cette histoire, se demandant ce qu’il aurait fait s’il avait été là.
Il n’approuvait pas Camille, cela l’avait choqué, mais il ne le condamnait pas non plus.
Cela restait pour lui l’ultime responsabilité du chef, et de la guerre."
- l'histoire de l'étang du Merle, et comment Jean a bien cru perdre Camille;
- ce même jour de l'étang du Merle, la fuite de Jean avec le Délégué Militaire Régional Rondenay, course en Traction entre les rafales de mitraillettes, "n'allez pas nous tuer sous prétexte d'éviter de nous faire tuer !";
- le mariage de Camille avec la soeur de Jean, de meilleurs amis ils deviennent beaux-frères ;
- les soeurs Boulloche arrivées avec le DMR en juin 1944, et le livre de Charles Kaiser "The cost of courage" qui leur rend hommage;
- la suite de la guerre, "Chacun retourne à sa charrue", l'Algérie, puis le retour dans le Morvan à l'heure de la retraite pour Jean et Camille qui se retrouvent.
Il ne faudra pas oublier ma rencontre avec Raymond Aubrac à Lyon, et comment il m'a raconté sa première rencontre avec Jean Moulin... Il m'avait griffonné ses coordonnées sur ce bout de papier.
Tous les morts du maquis Camille, de novembre 42 à septembre 44, tiennent sur une stèle de granit, à Plainefas, et Camille avait souhaité que ses cendres viennent les y rejoindre, ce qui fut fait.
Ils incarnent la Résistance civile intérieure dans ce qu'elle eût de meilleur, essentiellement d'origine FTP, la résistance activiste dès 41-42, organisée en guerilla harcelant les Allemands en changeant sans cesse de camp de base, quand la Gaulliste, attentiste, préconisait le regroupement de recrues (Vercors, Glières), leur entraînement, puis l'attente de l'ordre inter-allié pour intégrer une unité combattante. Des centaines de morts.
A tout cela il faudra que j'ajoute :
- l'histoire du jeune trublion qui tua un républicain espagnol du maquis par accident, et du prix qu'il paya en conséquence, la voici enfin (8 mars 2019, suite à la sollicitation de Vincent Gérard qui pense à en faire un film :
"C’était sans doute avant l’explosion démographique des maquis à partir du 6 juin 1944, peut-être à l’hiver 43-44.
Le maquis Camille avait déjà 3 ans d’existence.
Initié par Jean Longhi et Paul Bernard, deux hommes « grillés » en région parisienne et réfugiés dans le Morvan, il fut ensuite une petite cellule de 5 hommes, puis grossit lentement jusqu’au boom de juin 44.
En septembre 44, le maquis Camille est l’un des plus importants de la zone avec ses 1 000 hommes.
Mais au moment de cette histoire, il devait être constitué d’une centaine d’hommes environ.
Il était encore très mobile, avec son organisation en groupes de 12 et de 3, mais il avait aussi déjà des campements solidement installés, même s’il devait souvent les déplacer.
Baraques en bois, poste de commandement, radio, infirmerie, cantine. Les hommes dormaient sous des tentes disséminées dans les bois alentour.
Ce jour-là, il y avait formation pour les nouvelles recrues.
Le premier exercice était le démontage-remontage intégral de la mitraillette anglaise Sten, les yeux bandés.
Cette petite mitraillette extraordinaire a joué un grand rôle dans les combats de la résistance française et même partout en Europe et au-delà.
C’est Churchill qui en avait passé commande aux ingénieurs anglais. En fait il leur avait demandé deux choses : un excellent avion capable de surpasser les avions allemands, ce fut le Spitfire, et une mitraillette qui ne craigne ni le froid ni la boue ni le désert, que tout bon maréchal ferrant soit capable d’en réparer n’importe quelle pièce.
Réduite au strict minimum, la Sten est un squelette de mitraillette, sans crosse de bois, toute de métal.
Son principal défaut fur rapidement détecté : son système de percussion était très sensible, la petite mécanique tenue par des ressorts se déclenchait très facilement, à la moindre secousse. Il suffisait de sauter d’un camion au sol en la tenant à bout de bras pour que le coup parte. Enfin le coup, la rafale plutôt, parce que question arrosage, la Sten n’était pas non plus d’une grande précision.
Parmi les derniers arrivés, il y avait ce jeune homme, la vingtaine, un enragé qui ne parlait que de tuer du boche. Il s’était déjà présenté quelques semaines auparavant, mais il avait été refusé, jugé trop énervé. Il faut dire que son père avait été fusillé quelques mois plus tôt.
Alors il s’était représenté, et face à son insistance les chefs l’avaient finalement accepté. En le mettant en garde. Il faut que tu te calmes, on ne va pas t’envoyer tout de suite au combat, d’abord il faut que tu te formes, sois patient, calme-toi.
Et le voilà à l’exercice de la Sten, le premier jour dans le bois, au milieu du camp, enfin un peu à l’écart des baraques quand même.
Il démonte fébrilement l’arme, la remonte précipitamment, et lorsqu’il enclenche la dernière pièce, le chargeur, une longue rafale vomit ses balles à hauteur d’homme, en direction du centre du camp.
Sous une tente, se tenait debout un vieil espagnol. Enfin il n’était pas si vieux, mais à plus de 30 ans il avait déjà à son actif 7 années de guerre en Espagne puis là, en France, dans le Morvan.
3 ou 4 balles de travers en plein torse, il s’écroule raide mort. C’était l’un des lieutenants préférés de Camille, l’un de ceux sans qui il ne partait jamais.
Il n’y eut pas d’autre victime, pas d’autre blessé.
Juste lui.
Jean Longhi alias Grandjean n’est pas au camp à ce moment-là. Il a été nommé entre-temps Chef Départemental Maquis et a donc laissé le commandement à Paul Bernard, alias Camille.
Camille et ses officiers arrêtent le jeune, et décident de le juger. Ils organisent un procès, avec accusation, défense, jury.
Il est condamné. Il pleure, il s’en veut, il s’excuse.
Trois hommes l’emmènent à l’écart, plus loin au fond du bois.
Une balle.
Je ne sais pas qui a tiré, je ne suis pas sûr, mais il est probable que ce soit Camille.
Cette histoire c’est Grandjean qui me l’a raconté.
Quand il est arrivé au camp tout était déjà fini.
Il n’a jamais oublié cette histoire, se demandant ce qu’il aurait fait s’il avait été là.
Il n’approuvait pas Camille, cela l’avait choqué, mais il ne le condamnait pas non plus.
Cela restait pour lui l’ultime responsabilité du chef, et de la guerre."
- l'histoire de l'étang du Merle, et comment Jean a bien cru perdre Camille;
- ce même jour de l'étang du Merle, la fuite de Jean avec le Délégué Militaire Régional Rondenay, course en Traction entre les rafales de mitraillettes, "n'allez pas nous tuer sous prétexte d'éviter de nous faire tuer !";
- le mariage de Camille avec la soeur de Jean, de meilleurs amis ils deviennent beaux-frères ;
- les soeurs Boulloche arrivées avec le DMR en juin 1944, et le livre de Charles Kaiser "The cost of courage" qui leur rend hommage;
- la suite de la guerre, "Chacun retourne à sa charrue", l'Algérie, puis le retour dans le Morvan à l'heure de la retraite pour Jean et Camille qui se retrouvent.
Il ne faudra pas oublier ma rencontre avec Raymond Aubrac à Lyon, et comment il m'a raconté sa première rencontre avec Jean Moulin... Il m'avait griffonné ses coordonnées sur ce bout de papier.
MARCEL, LIEUTENANT DE ROLAND
Ensuite il faudra parler de Marcel, mais d'abord de Roland, son chef. Roland Champenier, né en 1924 à Marseille les Aubigny, dans le Cher juste en face de la Nièvre, de l'autre côté de la Loire. Chef des maquis FTP du Cher et de la Nièvre, libérateur de Nevers en septembre 1944 (la Nièvre s'est libérée sans aide alliée, à part quelques commandos britanniques SAS parachutés dans le Morvan, et justement intégrés au Maquis Camille). Comme beaucoup de maquisards Nivernais, le Commandant Roland, dit "Chemin" intègre la première armée de Leclerc pour poursuivre le combat vers l'Est, et meurt d'un éclat d'obus lors de la terrible bataille des Vosges. Il avait vingt ans...
J'ai scanné cette très rare revue parue dès 1946, qui raconte l'épopée de Roland en mode hagiographique, avec quelques petites erreurs soulignées par mon père sur ce document. Il n'y avait pas à forcer beaucoup le trait tant ses exploits étaient hallucinants, presque magiques, pour un si jeune homme ! L'exemplaire est dédicacé à mon père par Manette, la mère de Roland.
Ensuite il faudra parler de Marcel, mais d'abord de Roland, son chef. Roland Champenier, né en 1924 à Marseille les Aubigny, dans le Cher juste en face de la Nièvre, de l'autre côté de la Loire. Chef des maquis FTP du Cher et de la Nièvre, libérateur de Nevers en septembre 1944 (la Nièvre s'est libérée sans aide alliée, à part quelques commandos britanniques SAS parachutés dans le Morvan, et justement intégrés au Maquis Camille). Comme beaucoup de maquisards Nivernais, le Commandant Roland, dit "Chemin" intègre la première armée de Leclerc pour poursuivre le combat vers l'Est, et meurt d'un éclat d'obus lors de la terrible bataille des Vosges. Il avait vingt ans...
J'ai scanné cette très rare revue parue dès 1946, qui raconte l'épopée de Roland en mode hagiographique, avec quelques petites erreurs soulignées par mon père sur ce document. Il n'y avait pas à forcer beaucoup le trait tant ses exploits étaient hallucinants, presque magiques, pour un si jeune homme ! L'exemplaire est dédicacé à mon père par Manette, la mère de Roland.
Manette vivait toujours dans sa petite maison, sur le port de Marseilles-les-Aubigny (oui il y a un port, à la jonction de deux grands canaux, d'où le nom "Marseilles"), j'ai quelques souvenirs d'elle, mais là je devais avoir six ou sept ans pas plus. J'ai retrouvé cette carte postale qu'elle nous envoya, où l'on voit le port et sa maison qui servait et sert encore je crois de café et d'épicerie. On voit surtout les péniches de marchandise, qui elles ont bel et bien disparues.
Je suis revenu m'installer à Nevers fin 2006. J'ai repris contact avec Marcel Henry, l'un des lieutenants de Roland, et co-fondateur du premier maquis de la Nièvre. J'ai hérité de l'amitié qu'il vouait à mon père, dont la thèse est son livre de chevet. A 93 ans, il cultive encore son potager, se plie en deux sur ses salades pour m'en offrir une.
Avec lui je prends conscience que les premiers résistants n'ont pas eu la vie facile après guerre. Lui, simple ouvrier, resta longtemps fiché comme communiste, syndicaliste, en un mot rebelle, et il peina à trouver du boulot après la Libération de Nevers dont il tint une grande part. Il a quand même fini par obtenir la rosette, et c'est Jean Longhi qui la lui a remise en 2001. Sa première demande date de 1949.
Avec lui je prends conscience que les premiers résistants n'ont pas eu la vie facile après guerre. Lui, simple ouvrier, resta longtemps fiché comme communiste, syndicaliste, en un mot rebelle, et il peina à trouver du boulot après la Libération de Nevers dont il tint une grande part. Il a quand même fini par obtenir la rosette, et c'est Jean Longhi qui la lui a remise en 2001. Sa première demande date de 1949.
Parmi toutes les anecdotes que me raconte Marcel, je m'aperçois que l'une d'elles est plus belle que les autres. Tragique, impromptue, bourrée d'incidences et de coïncidences, de hasards, de chance, on ne dira jamais assez combien la chance a aidé les résistants, enfin les survivants. Comique aussi, car Marcel l'est. Alors je l'ai filmé avec l'aide de deux amis en novembre 2013, sur les lieux de l'action.
Justin Marquereau fut déporté à Buchenwald, où il participa à la Libération du camp par les prisonniers eux-mêmes, sous l'autorité de Marcel Paul, au terme d'un plan minutieusement préparé. Marcel Paul remit le fusil mitrailleur patiemment réassemblé dans les grosses pattes de Justin, en lui lançant : "Tiens Marquereau, tu l'attendais depuis longtemps celui-là !" Et ils se chargèrent des derniers gardes et soldats allemands qui n'avaient pas eu le temps de fuir devant l'avancée américaine. Les GI's, croisant ces fantômes armés, n'en crurent pas leurs yeux. Marcel Paul, grand bonhomme, resta lié toute sa vie à Marcel Dassault qu'il avait protégé pendant tout le temps passé au camp, le syndicaliste et le grand patron fidèlement liés à jamais...
Après plusieurs mois passés en prison à Nevers, Marcel (le nôtre) est envoyé dans un camp de travail près de Royan, pour participer à la construction du Mur de l'Atlantique. Il s'en évade au bout de deux mois, (en faisant exploser les stocks de carburant, détournant l'attention des gardiens), puis revient dans la Nièvre (après une traversée de la France hautement périlleuse et chanceuse, encore !).
Un soir de septembre 44, après la Libération de Nevers, Marcel patrouille en voiture avec ses hommes. Rue des Chauvelles ils aperçoivent une silhouette qui semble se cacher, escaladant un mur entre deux jardins. Marcel le reconnaît. Lui, le gendarme qui l'a balancé aux allemands, après l'avoir entendu parler de la place Chaméane dans son délire post-anesthésie. Ils le capturent, le jettent à l'arrière de la voiture. Marcel qui conduit le regarde dans le rétroviseur et lui lance :
-"Tu me reconnais pas ?"
Ils l'emmènent à l'Hôtel de France, aujourd'hui place de la Résistance, ex-siège de la Kommandantur devenu centre de commandement des FFI. Là, selon ses propres mots, il s'en est bien occupé. Et l'autre continuait d'assumer et de revendiquer sa trahison en s'honorant de sa chasse aux communistes. Il était tard, Marcel fatigué le laissa sous la surveillance de ses hommes. Avant d'aller se coucher à la caserne Pittié, il appela le procureur de la toute nouvelle République pour l'informer qu'il lui déférerait un homme au dossier chargé le lendemain matin.
Arrivant tôt à l'Hôtel de France le lendemain, ses hommes lui lâchent mi-goguenards mi-embêtés que le prisonnier n'a pas passé la nuit. Apparemment il a continué de les emmerder et de les insulter toute la nuit, ils n'en pouvaient plus et ont décidé d'achever le boulot, pensant même faire plaisir à leur chef en le vengeant. Colère énorme, engueulade en règle. Ce bonhomme était sous sa responsabilité, il aura à rendre des comptes. Il sera jugé pour cette disparition, il en prendra l'entière responsabilité sans mentionner ses hommes, il sera condamné avec du sursis mais passera une bonne partie de l'année 1946 en prison à Dijon.
Après cela, évidemment ce fut encore plus difficile de trouver du boulot, et c'est finalement en banlieue parisienne qu'il pourra poursuivre une carrière professionnelle. De retour dans la Nièvre à la retraite (comme Jean et Camille), il assiste un jour à un match de foot au stade de Fourchambault. Un homme se dirige vers lui, le salue respectueusement, lui demandant s'il le reconnait. C'est l'un des hommes de la fameuse nuit à l'Hôtel de France. Il lui dit même que s'il le veut, il peut lui indiquer l'endroit où ils ont mis le corps. Marcel s'énerve à nouveau, lui expliquant qu'il a payé le prix fort pour couvrir leur connerie, et qu'il ne vienne plus l'emmerder avec cette sale histoire.
Marcel a lui même fait le récit de ces années, il a fait éditer un joli petit livre qui raconte tout son parcours, de son enfance à aujourd'hui, et il m'en a donné le manuscrit, dont voici un extrait illustré de dessins de la prison de Nevers. Avec Fred, je connais donc deux hommes incarcérés dans cette vieille prison toujours en activité.
Après plusieurs mois passés en prison à Nevers, Marcel (le nôtre) est envoyé dans un camp de travail près de Royan, pour participer à la construction du Mur de l'Atlantique. Il s'en évade au bout de deux mois, (en faisant exploser les stocks de carburant, détournant l'attention des gardiens), puis revient dans la Nièvre (après une traversée de la France hautement périlleuse et chanceuse, encore !).
Un soir de septembre 44, après la Libération de Nevers, Marcel patrouille en voiture avec ses hommes. Rue des Chauvelles ils aperçoivent une silhouette qui semble se cacher, escaladant un mur entre deux jardins. Marcel le reconnaît. Lui, le gendarme qui l'a balancé aux allemands, après l'avoir entendu parler de la place Chaméane dans son délire post-anesthésie. Ils le capturent, le jettent à l'arrière de la voiture. Marcel qui conduit le regarde dans le rétroviseur et lui lance :
-"Tu me reconnais pas ?"
Ils l'emmènent à l'Hôtel de France, aujourd'hui place de la Résistance, ex-siège de la Kommandantur devenu centre de commandement des FFI. Là, selon ses propres mots, il s'en est bien occupé. Et l'autre continuait d'assumer et de revendiquer sa trahison en s'honorant de sa chasse aux communistes. Il était tard, Marcel fatigué le laissa sous la surveillance de ses hommes. Avant d'aller se coucher à la caserne Pittié, il appela le procureur de la toute nouvelle République pour l'informer qu'il lui déférerait un homme au dossier chargé le lendemain matin.
Arrivant tôt à l'Hôtel de France le lendemain, ses hommes lui lâchent mi-goguenards mi-embêtés que le prisonnier n'a pas passé la nuit. Apparemment il a continué de les emmerder et de les insulter toute la nuit, ils n'en pouvaient plus et ont décidé d'achever le boulot, pensant même faire plaisir à leur chef en le vengeant. Colère énorme, engueulade en règle. Ce bonhomme était sous sa responsabilité, il aura à rendre des comptes. Il sera jugé pour cette disparition, il en prendra l'entière responsabilité sans mentionner ses hommes, il sera condamné avec du sursis mais passera une bonne partie de l'année 1946 en prison à Dijon.
Après cela, évidemment ce fut encore plus difficile de trouver du boulot, et c'est finalement en banlieue parisienne qu'il pourra poursuivre une carrière professionnelle. De retour dans la Nièvre à la retraite (comme Jean et Camille), il assiste un jour à un match de foot au stade de Fourchambault. Un homme se dirige vers lui, le salue respectueusement, lui demandant s'il le reconnait. C'est l'un des hommes de la fameuse nuit à l'Hôtel de France. Il lui dit même que s'il le veut, il peut lui indiquer l'endroit où ils ont mis le corps. Marcel s'énerve à nouveau, lui expliquant qu'il a payé le prix fort pour couvrir leur connerie, et qu'il ne vienne plus l'emmerder avec cette sale histoire.
Marcel a lui même fait le récit de ces années, il a fait éditer un joli petit livre qui raconte tout son parcours, de son enfance à aujourd'hui, et il m'en a donné le manuscrit, dont voici un extrait illustré de dessins de la prison de Nevers. Avec Fred, je connais donc deux hommes incarcérés dans cette vieille prison toujours en activité.
Longtemps Président de la délégation départementale de la Fédération Nationale des Déportés Internés Résistants Patriotes, Marcel remettait chaque année un prix aux collégiens distingués par le Concours National de la Résistance. En 2015, il a reçu l'invitation à la Préfecture, le prix est désormais remis par les gendarmes. Hors de question qu'il s'y rende.
-"Les gendarmes, c'est leurs fusils que j'ai vu en premier, leurs menottes et leurs coups, et c'est eux qui m'ont remis à la Gestapo".
A 95 ans aujourd'hui, il est le dernier survivant du premier maquis Nivernais, arrêté à Poiseux le 8 avril 1943. Lors de la dernière commémoration dimanche 10 avril 2016, Marcel toujours vaillant pris la parole, comme à chaque fois, prononçant un discours qu'il réécrit chaque année. Sa femme Eliane les conservent tous soigneusement dans une pochette plastique. Cette année, il fustige les lois Macron et El Khomri, qui donnent le coup de grâce au démantèlement du Programme du Conseil National de la Résistance, et appelle la jeunesse à reconquérir le terrain perdu.
Sur son répondeur, il dit sèchement : "Ce répondeur est réservé à la famille et aux amis. Si vous ne faites pas partie de ces catégories vous pouvez raccrocher."
-"Les gendarmes, c'est leurs fusils que j'ai vu en premier, leurs menottes et leurs coups, et c'est eux qui m'ont remis à la Gestapo".
A 95 ans aujourd'hui, il est le dernier survivant du premier maquis Nivernais, arrêté à Poiseux le 8 avril 1943. Lors de la dernière commémoration dimanche 10 avril 2016, Marcel toujours vaillant pris la parole, comme à chaque fois, prononçant un discours qu'il réécrit chaque année. Sa femme Eliane les conservent tous soigneusement dans une pochette plastique. Cette année, il fustige les lois Macron et El Khomri, qui donnent le coup de grâce au démantèlement du Programme du Conseil National de la Résistance, et appelle la jeunesse à reconquérir le terrain perdu.
Sur son répondeur, il dit sèchement : "Ce répondeur est réservé à la famille et aux amis. Si vous ne faites pas partie de ces catégories vous pouvez raccrocher."
Journal du Centre, 8 janvier 2017
Fred, Jean, Camille, Marcel, Génia, Aimé, ceux-là entrent dans mon Panthéon.
Après la mort de Papa (à la toute fin d'expresso 2224) , nous avons donné tous ces documents aux Archives Départementales de la Nièvre, je crois qu'il y a un fond à son nom.
Je conserve néanmoins quelques pépites par devers moi... Comme ces deux là "Assomption 44" et "Le miracle de Titi", regardez attentivement, l'écriture est superbe, et je vous mets un billet que l'un comme l'autre vous donneront des frissons...
Après la mort de Papa (à la toute fin d'expresso 2224) , nous avons donné tous ces documents aux Archives Départementales de la Nièvre, je crois qu'il y a un fond à son nom.
Je conserve néanmoins quelques pépites par devers moi... Comme ces deux là "Assomption 44" et "Le miracle de Titi", regardez attentivement, l'écriture est superbe, et je vous mets un billet que l'un comme l'autre vous donneront des frissons...
GENIA LA ROUGE
Vendredi 23 février 2018, Saint Lazare l'Iconographe, peintre des icônes...
Tout a démarré le 4 juin 2017, pour mes 45 ans. J'avais invité Génia à mon anniversaire. J'étais très bien entouré ce jour-là, Il y avait notamment mes amis Gilles Bouchicot et Jean Philippe Ehrmann.
L'idée qui germait dans ma tête depuis quelques mois a alors subitement éclos : nous allions faire un film sur Génia.
8 mois plus tard nous y sommes. Et le bébé n'a rien de prématuré, il serait même plutôt en retard de deux mois + 25 interminables heures d'encodage Youtube.
Merci infiniment à Gilles et Jean-Philippe, merci la Vie, et surtout merci Génia !
Clin d'oeil appuyé à toi, Jean Bojko...
"Si on considère que les morts sont tout à fait morts, on est des mauvais vivants".
J'ai l'honneur, l'avantage et surtout le plaisir immense de vous présenter enfin ...
GENIA LA ROUGE - Chapitre I
Vendredi 23 février 2018, Saint Lazare l'Iconographe, peintre des icônes...
Tout a démarré le 4 juin 2017, pour mes 45 ans. J'avais invité Génia à mon anniversaire. J'étais très bien entouré ce jour-là, Il y avait notamment mes amis Gilles Bouchicot et Jean Philippe Ehrmann.
L'idée qui germait dans ma tête depuis quelques mois a alors subitement éclos : nous allions faire un film sur Génia.
8 mois plus tard nous y sommes. Et le bébé n'a rien de prématuré, il serait même plutôt en retard de deux mois + 25 interminables heures d'encodage Youtube.
Merci infiniment à Gilles et Jean-Philippe, merci la Vie, et surtout merci Génia !
Clin d'oeil appuyé à toi, Jean Bojko...
"Si on considère que les morts sont tout à fait morts, on est des mauvais vivants".
J'ai l'honneur, l'avantage et surtout le plaisir immense de vous présenter enfin ...
GENIA LA ROUGE - Chapitre I
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La Résistance Nivernaise comptait 10 000 hommes en septembre 1944. Leurs actions ont considérablement retardé le repli des troupes allemandes, refluant de l'Ouest (débarquement en Normandie) et du Sud (débarquement en Méditerranée), ces deux mouvements se rejoignant nécessairement dans ce coin de Bourgogne, surnommé par les Alliés "le hérisson du Morvan".
Ce retard du repli Allemand accéléra l'avance des Alliés vers l'Est, et donc la fin de la guerre, de plusieurs semaines, synonymes de vies alliées sauvées.
Grâce à ses Résistants, la Nièvre s'est libérée toute seule en septembre 1944, sans aide anglaise ou américaine (à part bien sûr les parachutages et la mission Jedburgh arrivée au Maquis Camille en juin 44).
C'est là la gloire de la Résistance Nivernaise. Mieux encore, la Résistance Nivernaise a été propre, la guerre civile n'a jamais pointé son nez par chez nous. Sous le commandement de Jean, les différents mouvements ont combattu ensemble, les mêmes objectifs avec des stratégies concertées, il n'y a pas eu de sale guerre ni de lutte fratricide comme ailleurs en France. Jean rendit des comptes détaillés dans les mois suivant la Libération, justifiant chaque centime, chaque arme et chaque balle.
Comme toute personne s'intéressant à la question, surtout dans mon adolescence bouillonnante et politique, je me suis demandé ce que j'aurais fait à leur place. Question hautement idiote, dont j'étais en partie pré-immunisé par la sentence visionnaire de Monsieur Oboeuf citée au début de ce texte. Nous n'avons pas la même lutte à mener, nous n'avons pas d'armée ennemie qui nous envahit et nous occupe, nous ne sommes pas attaqués par des armes (je ne parle pas de terrorisme, ces résistants étaient eux-mêmes qualifiés ainsi par les allemands et par Vichy), mais par une pensée totalitaire qui a pris tous les pouvoirs à l'échelle de la planète en l'espace de 50 ans.
La plupart des résistants véritables n'en ont pas tiré gloire ni fortune. Pour beaucoup, le retour à la vie civile fût une autre bataille. Certains partirent en Indochine, à Madagascar ou en Algérie, d'autres comme Marcel Henry s'y refusèrent, voyant bien l'hérésie qu'il y avait à occuper une terre et combattre ses défenseurs, les accusant à leur tour de terrorisme. Pour lui, après sa peine de prison, retrouver simplement du travail fût compliqué, il était listé comme rouge, syndicaliste, résistant, un dur avec du sang sur les mains.
Ils attendirent le Temps des Cerise, crûrent dans l'application du programme du Conseil National de la Résistance, relisez son préambule, "Les jours heureux"...
Ils combattaient pour nous, en pensant à nous, les générations futures. A eux le sale temps de la guerre, à nous les beaux jours de la cueillette des cerises. Ils se sont battus mus par la volonté de construire après guerre une société plus juste, plus libre, plus égale, plus fraternelle.
S'ils nous voyaient aujourd'hui...
Une des phrases clé de Jean Longhi était : "C'est bon de se battre". J'ai mis du temps à la comprendre, là encore (Monsieur Michot mon instituteur de CM2 m'avait dit : "tu comprends vite mais il faut t'expliquer longtemps"). Il s'agit de judo, et de limites. C'est bon d'aller vers ses limites, les murs, les frontières, les forces contraires, les défis, de les repousser, de s'y coltiner, dans un ping-pong, une gymnastique, une danse qui nous propulse vers les autres, amis et ennemis, nos frères, pour mieux les sentir et les connaître. Une autre phrase était : "Agir, c'est accepter l'imperfection."
Ils étaient moins de 1% en 1940, tous les autres étaient pétainistes, le IIIème Reich semblait invincible, on ne peut imaginer à quel point, tout jouait contre eux. Pourtant ils ont fini par gagner.
L'histoire de la résistance, c'est David contre Goliath. Parfois, David l'emporte.
En cela je trouve de l'espoir.
C'est l'histoire du grain de sable, dérisoire, mais qui à lui tout seul, bien placé, peut gripper toute la machine.
C'est l'histoire du colibri, aussi (Pierre Rabhi) : chaque action individuelle compte.
Résister, aujourd'hui ? Sommes-nous occupés ? Sommes-nous prisonniers ? Oui. Esclaves, même.
Résister c'est avoir raison seul contre tous. C'est douter de la soupe que l'on nous sert. Galilée, Giordano Bruno, Copernic, Einstein ont résisté.
Résister c'est créer (Deleuze). Les grands créateurs à contre-courant sont des résistants.
Résister, c'est préférer la clandestinité à la publicité. C'est comprendre le mécanisme simple et génial de la guerilla (petite guerre), technique de guerre qui, du Mexique au Vietnam en passant par la Nièvre, permît à des citoyens démunis de se débarrasser d'occupants surpuissants. Maîtriser son terrain, choisir le moment de l'attaque, embuscade, faire le maximum de dégâts en un minimum de temps, puis décrocher, ramener tous ses hommes vivants, prêts pour l'accrochage suivant, en laissant les survivants ennemis mitrailler les fougères.
Résister, c'est rester et se battre, c'est aussi parfois partir. Les migrants sont des résistants. La retraite pour avoir la vie sauve. Accrocher, décrocher. Savoir décrocher pour sauver sa peau. Résister aujourd'hui, c'est ne pas supporter les camps d'internement qui poussent aux portes de l'Europe et jusqu'en France. Les barbelés, le retour... C'est savoir ce que l'on fera demain. La haine au pouvoir ? Le grand Incendie ?
Résister aujourd'hui, c'est s'engager dans les ZAD, les AMAP, les SCOP, et toutes associations comme la Cimade. C'est défendre, protéger et soutenir les lanceurs d'alerte, résistants s'il en est. Face à l'immondialisation qui veut marchandiser la moindre parcelle de nos vies, nous pouvons nous organiser en réseaux locaux solidaires, agir local, cavaleries légères. Les initiatives poussent partout, énergie de la société civile résistante.
Résister, c'est dire, savoir dire les choses, dire leur sens, direction et signification, savoir choisir les mots justes, qui désignent et définissent avec précision. Résistance : le mot, l'idée, le sens, et l'histoire sont restés purs, intacts. Nul politique n'a pu s'en emparer, nul cynique le dévoyer.
Je fais partie de ceux pour qui "Front National" évoque d'abord le mouvement de résistance intérieure créé par le Parti Communiste Français en mai 1941.
Résister s'est se relever, c'est libérer la Vie, là où l'homme l'a enfermée.
La résistance est en nous.
La résistance est à nous.
La Résistance Nivernaise comptait 10 000 hommes en septembre 1944. Leurs actions ont considérablement retardé le repli des troupes allemandes, refluant de l'Ouest (débarquement en Normandie) et du Sud (débarquement en Méditerranée), ces deux mouvements se rejoignant nécessairement dans ce coin de Bourgogne, surnommé par les Alliés "le hérisson du Morvan".
Ce retard du repli Allemand accéléra l'avance des Alliés vers l'Est, et donc la fin de la guerre, de plusieurs semaines, synonymes de vies alliées sauvées.
Grâce à ses Résistants, la Nièvre s'est libérée toute seule en septembre 1944, sans aide anglaise ou américaine (à part bien sûr les parachutages et la mission Jedburgh arrivée au Maquis Camille en juin 44).
C'est là la gloire de la Résistance Nivernaise. Mieux encore, la Résistance Nivernaise a été propre, la guerre civile n'a jamais pointé son nez par chez nous. Sous le commandement de Jean, les différents mouvements ont combattu ensemble, les mêmes objectifs avec des stratégies concertées, il n'y a pas eu de sale guerre ni de lutte fratricide comme ailleurs en France. Jean rendit des comptes détaillés dans les mois suivant la Libération, justifiant chaque centime, chaque arme et chaque balle.
Comme toute personne s'intéressant à la question, surtout dans mon adolescence bouillonnante et politique, je me suis demandé ce que j'aurais fait à leur place. Question hautement idiote, dont j'étais en partie pré-immunisé par la sentence visionnaire de Monsieur Oboeuf citée au début de ce texte. Nous n'avons pas la même lutte à mener, nous n'avons pas d'armée ennemie qui nous envahit et nous occupe, nous ne sommes pas attaqués par des armes (je ne parle pas de terrorisme, ces résistants étaient eux-mêmes qualifiés ainsi par les allemands et par Vichy), mais par une pensée totalitaire qui a pris tous les pouvoirs à l'échelle de la planète en l'espace de 50 ans.
La plupart des résistants véritables n'en ont pas tiré gloire ni fortune. Pour beaucoup, le retour à la vie civile fût une autre bataille. Certains partirent en Indochine, à Madagascar ou en Algérie, d'autres comme Marcel Henry s'y refusèrent, voyant bien l'hérésie qu'il y avait à occuper une terre et combattre ses défenseurs, les accusant à leur tour de terrorisme. Pour lui, après sa peine de prison, retrouver simplement du travail fût compliqué, il était listé comme rouge, syndicaliste, résistant, un dur avec du sang sur les mains.
Ils attendirent le Temps des Cerise, crûrent dans l'application du programme du Conseil National de la Résistance, relisez son préambule, "Les jours heureux"...
Ils combattaient pour nous, en pensant à nous, les générations futures. A eux le sale temps de la guerre, à nous les beaux jours de la cueillette des cerises. Ils se sont battus mus par la volonté de construire après guerre une société plus juste, plus libre, plus égale, plus fraternelle.
S'ils nous voyaient aujourd'hui...
Une des phrases clé de Jean Longhi était : "C'est bon de se battre". J'ai mis du temps à la comprendre, là encore (Monsieur Michot mon instituteur de CM2 m'avait dit : "tu comprends vite mais il faut t'expliquer longtemps"). Il s'agit de judo, et de limites. C'est bon d'aller vers ses limites, les murs, les frontières, les forces contraires, les défis, de les repousser, de s'y coltiner, dans un ping-pong, une gymnastique, une danse qui nous propulse vers les autres, amis et ennemis, nos frères, pour mieux les sentir et les connaître. Une autre phrase était : "Agir, c'est accepter l'imperfection."
Ils étaient moins de 1% en 1940, tous les autres étaient pétainistes, le IIIème Reich semblait invincible, on ne peut imaginer à quel point, tout jouait contre eux. Pourtant ils ont fini par gagner.
L'histoire de la résistance, c'est David contre Goliath. Parfois, David l'emporte.
En cela je trouve de l'espoir.
C'est l'histoire du grain de sable, dérisoire, mais qui à lui tout seul, bien placé, peut gripper toute la machine.
C'est l'histoire du colibri, aussi (Pierre Rabhi) : chaque action individuelle compte.
Résister, aujourd'hui ? Sommes-nous occupés ? Sommes-nous prisonniers ? Oui. Esclaves, même.
Résister c'est avoir raison seul contre tous. C'est douter de la soupe que l'on nous sert. Galilée, Giordano Bruno, Copernic, Einstein ont résisté.
Résister c'est créer (Deleuze). Les grands créateurs à contre-courant sont des résistants.
Résister, c'est préférer la clandestinité à la publicité. C'est comprendre le mécanisme simple et génial de la guerilla (petite guerre), technique de guerre qui, du Mexique au Vietnam en passant par la Nièvre, permît à des citoyens démunis de se débarrasser d'occupants surpuissants. Maîtriser son terrain, choisir le moment de l'attaque, embuscade, faire le maximum de dégâts en un minimum de temps, puis décrocher, ramener tous ses hommes vivants, prêts pour l'accrochage suivant, en laissant les survivants ennemis mitrailler les fougères.
Résister, c'est rester et se battre, c'est aussi parfois partir. Les migrants sont des résistants. La retraite pour avoir la vie sauve. Accrocher, décrocher. Savoir décrocher pour sauver sa peau. Résister aujourd'hui, c'est ne pas supporter les camps d'internement qui poussent aux portes de l'Europe et jusqu'en France. Les barbelés, le retour... C'est savoir ce que l'on fera demain. La haine au pouvoir ? Le grand Incendie ?
Résister aujourd'hui, c'est s'engager dans les ZAD, les AMAP, les SCOP, et toutes associations comme la Cimade. C'est défendre, protéger et soutenir les lanceurs d'alerte, résistants s'il en est. Face à l'immondialisation qui veut marchandiser la moindre parcelle de nos vies, nous pouvons nous organiser en réseaux locaux solidaires, agir local, cavaleries légères. Les initiatives poussent partout, énergie de la société civile résistante.
Résister, c'est dire, savoir dire les choses, dire leur sens, direction et signification, savoir choisir les mots justes, qui désignent et définissent avec précision. Résistance : le mot, l'idée, le sens, et l'histoire sont restés purs, intacts. Nul politique n'a pu s'en emparer, nul cynique le dévoyer.
Je fais partie de ceux pour qui "Front National" évoque d'abord le mouvement de résistance intérieure créé par le Parti Communiste Français en mai 1941.
Résister s'est se relever, c'est libérer la Vie, là où l'homme l'a enfermée.
La résistance est en nous.
La résistance est à nous.
Extrait du journal "Fakir", 18 octobre 2016.
"LA REVANCHE DES COLLABOS"
Sécurité sociale, retraites...
C’est dans un pays en ruines qu’à la Libération, nos papis et mamies qui faisaient la résistance ont bâti tout ça. Aujourd’hui la France est la cinquième puissance économique mondiale, et nous n’aurions plus les moyens de cette solidarité nationale ?
Fakir et La Sociale, le dernier film de Gilles Perret, reviennent sur l’histoire de la sécurité sociale. Une conquête pas tombée du ciel, sans cesse attaquée…
On les nomme « héros ». Mais de quoi les traiterait-on, aujourd’hui ?
En 1944, « les destructions couvrent tout notre sol, rappelle le Général de Gaulle dans ses Mémoires. Il manque des logements pour six millions de Français. Et que dire des gares écroulées, des voies coupées, des ponts sautés, des canaux obstrués, des ports bouleversés ? Quant aux terres, un million d’hectares sont hors d’état de produire, retournés par les explosions, truffés de mines, creusés de retranchements. Partout, on manque d’outils, d’engrais, de plants, de bonnes semences. Le cheptel est réduit de moitié. Nos finances sont écrasées d’une dette publique colossale, nos budgets condamnés pour longtemps à supporter les dépenses énormes de la reconstruction. »
Et c’est sur ce champ de ruines qu’ils instaurent la Sécurité sociale !
Et les retraites !
Et le service public !
A ces fous à lier, on enverrait la camisole. Vite, une piqûre !
C’est qu’en plein cauchemar, ils avaient fait un rêve. Au cœur de la nuit nazie, dans les prisons, dans les maquis, dans l’exil, les résistants imaginent « les jours heureux », songent éveillés à l’« éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », à « un plan complet de sécurité sociale », à « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours », bref, à « une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction ». Des cocos aux cathos, syndicalistes, socialistes, droite patriote, à l’unanimité, tous signent au printemps 1944 ce « Programme du Conseil National de la Résistance ».
La Libération obtenue, leur rêve deviendra largement réalité : « En l’espace d’une année, relate avec fierté le Général de Gaulle, les ordonnances et les lois promulguées sous ma responsabilité apporteront à la structure de l’économie française et à la condition des travailleurs des changements d’une portée immense. » Et d’ajouter que « les privilégiés » ne bronchent pas : « Sur le moment, tous, mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire. »
C’est que règne la peur chez les possédants. Les maquis viennent de se soulever. Les armes sont aux mains des gueux. Avec le Parti Communiste, première formation du pays, les ouvriers sont organisés. Bref, les choses pourraient très mal tourner. Alors, mieux vaut ne pas les énerver. Endurer. Patienter.
Bien vite, le souffle de révolte va retomber. Et les banquiers, industriels, patrons de presse vont se ressaisir, défendre leurs intérêts, répéter que « les réformes vont trop loin ». On connaît la chanson.
Et maintenant ?
La France est la cinquième puissance économique mondiale. Son territoire n’est menacé d’aucune invasion. Ses firmes accumulent les milliards de bénéfices, même par temps de « crise ». Ses grands magasins sont bourrés de produits, la plupart inutiles. Malgré cette prospérité, ils – les mêmes, les banquiers, les industriels, les patrons de presse – nous l’affirment : « Ce n’est plus possible. Regardez les déficits. Regardez la courbe démographique. » Au-delà de tous ces arguments, techniques, financiers, Denis Kessler, ex-numéro 2 du Medef, dévoile le vrai motif : « sortir de 1945 et défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».
Derrière toutes les statistiques, évaluations, projections, derrière tous les rideaux de fumée, c’est à ce mouvement historique que nous assistons. Au retour, sur l’avant-scène publique, des forces d’Argent, discréditées à la Libération. A la revanche des collabos – dont les héritiers spirituels viennent récupérer le butin.
"LA REVANCHE DES COLLABOS"
Sécurité sociale, retraites...
C’est dans un pays en ruines qu’à la Libération, nos papis et mamies qui faisaient la résistance ont bâti tout ça. Aujourd’hui la France est la cinquième puissance économique mondiale, et nous n’aurions plus les moyens de cette solidarité nationale ?
Fakir et La Sociale, le dernier film de Gilles Perret, reviennent sur l’histoire de la sécurité sociale. Une conquête pas tombée du ciel, sans cesse attaquée…
On les nomme « héros ». Mais de quoi les traiterait-on, aujourd’hui ?
En 1944, « les destructions couvrent tout notre sol, rappelle le Général de Gaulle dans ses Mémoires. Il manque des logements pour six millions de Français. Et que dire des gares écroulées, des voies coupées, des ponts sautés, des canaux obstrués, des ports bouleversés ? Quant aux terres, un million d’hectares sont hors d’état de produire, retournés par les explosions, truffés de mines, creusés de retranchements. Partout, on manque d’outils, d’engrais, de plants, de bonnes semences. Le cheptel est réduit de moitié. Nos finances sont écrasées d’une dette publique colossale, nos budgets condamnés pour longtemps à supporter les dépenses énormes de la reconstruction. »
Et c’est sur ce champ de ruines qu’ils instaurent la Sécurité sociale !
Et les retraites !
Et le service public !
A ces fous à lier, on enverrait la camisole. Vite, une piqûre !
C’est qu’en plein cauchemar, ils avaient fait un rêve. Au cœur de la nuit nazie, dans les prisons, dans les maquis, dans l’exil, les résistants imaginent « les jours heureux », songent éveillés à l’« éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », à « un plan complet de sécurité sociale », à « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours », bref, à « une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction ». Des cocos aux cathos, syndicalistes, socialistes, droite patriote, à l’unanimité, tous signent au printemps 1944 ce « Programme du Conseil National de la Résistance ».
La Libération obtenue, leur rêve deviendra largement réalité : « En l’espace d’une année, relate avec fierté le Général de Gaulle, les ordonnances et les lois promulguées sous ma responsabilité apporteront à la structure de l’économie française et à la condition des travailleurs des changements d’une portée immense. » Et d’ajouter que « les privilégiés » ne bronchent pas : « Sur le moment, tous, mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire. »
C’est que règne la peur chez les possédants. Les maquis viennent de se soulever. Les armes sont aux mains des gueux. Avec le Parti Communiste, première formation du pays, les ouvriers sont organisés. Bref, les choses pourraient très mal tourner. Alors, mieux vaut ne pas les énerver. Endurer. Patienter.
Bien vite, le souffle de révolte va retomber. Et les banquiers, industriels, patrons de presse vont se ressaisir, défendre leurs intérêts, répéter que « les réformes vont trop loin ». On connaît la chanson.
Et maintenant ?
La France est la cinquième puissance économique mondiale. Son territoire n’est menacé d’aucune invasion. Ses firmes accumulent les milliards de bénéfices, même par temps de « crise ». Ses grands magasins sont bourrés de produits, la plupart inutiles. Malgré cette prospérité, ils – les mêmes, les banquiers, les industriels, les patrons de presse – nous l’affirment : « Ce n’est plus possible. Regardez les déficits. Regardez la courbe démographique. » Au-delà de tous ces arguments, techniques, financiers, Denis Kessler, ex-numéro 2 du Medef, dévoile le vrai motif : « sortir de 1945 et défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».
Derrière toutes les statistiques, évaluations, projections, derrière tous les rideaux de fumée, c’est à ce mouvement historique que nous assistons. Au retour, sur l’avant-scène publique, des forces d’Argent, discréditées à la Libération. A la revanche des collabos – dont les héritiers spirituels viennent récupérer le butin.
Standing up for our rights !
Marinier de Loire à la bourde brisée, Raphaël Diligent, 1934.
Marinier de Loire à la bourde brisée, Raphaël Diligent, 1934.
Tous droits réservés (enfin j'espère).